L’Institut Convergences Migrations propose régulièrement des rencontres Presse/Recherche pour faire dialoguer scientifiques et journalistes. Le but : découvrir une nouvelle façon d’aborder le sujet très médiatisé — voire polémique — des migrations, les questions que se posent les scientifiques aujourd’hui ainsi que les « acteurs » qu’ils suivent et les histoires qu’ils croisent.
Cette initiative part du constat d’un déficit de connaissances scientifiques sur le phénomène des migrations dans le public et du fossé entre la décision politique et l’état de l’art dans ce domaine de recherche. L’urgence pour les scientifiques à participer au débat public — et à être audibles — se fait d’autant plus sentir que la décision politique semble émaner moins de l’expertise scientifique que de la couverture médiatique de controverses sociales.
Le besoin de réponses claires sur les migrations, tel que l’expriment la presse et le public, rend difficile la diffusion des sciences, avec le vocabulaire et la prudence des scientifiques. La dérégulation du marché de l’information, l’importance prise par l’information numérique et la raréfaction des journalistes spécialisés rendent nécessaire la coopération entre scientifiques et médias pour la diffusion d’une meilleure connaissance des résultats scientifiques sur les migrations.
Le fact-checking ne suffit pas, il faut travailler sur les imaginaires collectifs.
Comment les chercheurs peuvent-ils contribuer à un débat public apaisé, basé sur des faits plutôt que sur des croyances et permettre une gestion dépassionnée des migrations ? Il ne s’agit pas seulement de rétablir les faits, de les vulgariser ou de les assener, mais de prendre en compte « le terreau historique des imaginaires collectifs », pour reprendre l’expression de la sociologue Virginie Tournay qui s’interroge sur les obstacles à une communication scientifique efficace. La recherche n’échappe pas à la crise de confiance du public vis-à-vis des institutions.
Pour agir en amont — et non plus seulement réagir face aux infox ou faux experts, la recherche doit mettre en place un dialogue nourri avec l’ensemble des acteurs qui travaillent à la transmission des savoirs sur les migrations. Les médias en sont un acteur majeur.
Comptes-rendus des rencontres
Cette première rencontre abordait la question de la place des sciences sociales sur l’islam et les Musulmans dans un débat public saturé par les raccourcis, la polarisation et une islamophobie de plus en plus explicite. Sollicité par plusieurs de ses fellows du réseau « Islams et chercheurs dans la cité » et la communauté de doctorants du Menasc, l’Institut Convergences Migrations s’est associé à l’IISMM (EHESS) pour organiser une rencontre entre une quarantaine de journalistes spécialisés et chercheurs sur l’islam. Tous ont conclu à la nécessité d’une collaboration étroite et exigeante pour sortir d’un traitement médiatique trop souvent anxiogène et caricatural. Juliette Galonnier, sociologue et fellow de l’ICM, en fait le compte-rendu dans le numéro 6 de De facto consacré à la recherche sur la société française et la construction du « problème musulman ».
La deuxième rencontre s’est tenue à l’occasion de la première journée scientifique de l’Institut Convergences Migrations « Santé et immigration en France et en Europe ». La recherche sur la santé des populations immigrées a connu une accélération avec la crise de l’accueil qui secoue l’Europe depuis 2015. Deux épidémiologistes ont présenté leur travail sur la santé mentale des immigré.e.s et exilé.e.s aux journalistes invités à la Faculté Saint Antoine, le 6 juin 2019. Andrea Tortelli, également psychiatre au pôle Psychiatrie Précarité Paris et Maria Melchior de l’INSERM, directrice du département HEALTH de l’ICM, ont répondu aux questions sur la difficile prise en charge des patients étrangers en situation de précarité. Pour suivre cette actualité, le numéro 8 de De facto est consacré à la santé mentale des immigré.e.s qui se détériore particulièrement après leur arrivée.
À la suite de la mise en débat au Parlement de la politique migratoire française sur la base de diagnostics alarmistes, l’Institut Convergences Migrations a souhaité réunir la presse afin de remettre en cause les idées toutes faites qui irriguent le débat public jusqu’au plus haut sommet de l’État. « Entre l’AME, le regroupement familial, la générosité des prestations sociales… On voudrait nous faire croire que nous serions devenu le pays le plus attractif pour les migrants. Le problème, c’est que tout ceci est absolument inexact. Le débat repose sur une base objective qui est fausse », a balayé François Héran, directeur de l’Institut Convergences Migrations. Certes, rappelle-t-il, la demande d’asile en France suit de près l’Allemagne, au deuxième rang européen. Mais la comparaison s’arrête là, car en valeur relative, rapportée à la population, « la France n’est pas deuxième en demande d’asile, elle est à peu près à la 11e place en Europe. On se rapproche de la moyenne, sans plus. Et si on rajoute les revenus par habitant, nous rétrogradons au 17e rang européen ». Autre thème abordé : le supposé « appel d’air » suscité par les prestations sociales en France. « Les soins sont l’une des dernières raisons » d’immigrer, estime Annabel Desgrées du Loû, directrice adjointe de l’IC Migrations. Elle en veut pour preuve, par exemple, que « plus de 90 % des VIH sont découverts en France » et non dans le pays d’origine.
Organisées en partenariat avec Sciences Po (projet PACE) et l’association Désinfox-Migrations, l’Institut Convergences Migrations propose une série de rencontres publiques en ligne sur la question du traitement médiatique des questions migratoires. Elle réunissent un ou deux chercheurs et une panel de journalistes de médias différents (BFMTV, Le Monde, France Info, AFP, InfoMigrants, Les Surligneurs) pour dialoguer entre eux sur les pratiques. La première rencontre (1er février 2022) a été consacrée aux apports et aux limites du fact-checking, la seconde (2 février 2022) à la désinformation en période électorale. Ces deux rencontres se sont articulées autour du numéro 30 de De facto intitulé Les migrations dans l’œil des médias : infox, influence et opinion.