Étudier les facteurs environnementaux des migrations contemporaines au prisme du genre

Nina Sahraoui, sociologue

Le projet GENDEREDCLIMATEMIG étudie les migrations internationales en contexte de changement climatique depuis une perspective de genre et au moyen d’une méthodologie transdisciplinaire, comparative et participative. 

Photo : Little Abori­ginal Offspring Trans­por­ting Fresh Water for lack of water symbol, crédit : Riccardo Niels Mayer (Adobe Stock)

GENDEREDCLIMATEMIG est un projet de recherche financé par le Conseil Euro­péen de la Recherche sur 5 ans (2023–2028) qui comprend plusieurs enquêtes quali­ta­tives visant à étudier les facteurs envi­ron­ne­men­taux de la migra­tion en prenant en compte les inéga­lités de genre dans leur dimen­sion struc­tu­relle et les expé­riences genrées des personnes migrantes. Un volet du projet s’intéresse égale­ment aux instru­ments de gouver­nance trans­na­tio­nale des mobi­lités dites clima­tiques, égale­ment au prisme du genre, notam­ment au niveau onusien.

Penser les migrations à l’aune du changement climatique 

Le chan­ge­ment clima­tique affecte les moyens de subsis­tance par le biais d’évé­ne­ments soudains tels que les cyclones et les inon­da­tions, et de processus lents tels que les séche­resses, l’élé­va­tion du niveau de la mer et la sali­ni­sa­tion de l’eau et des sols. À travers des études de cas sélec­tion­nées sur trois conti­nents (Amérique centrale, Afrique du Nord et Asie du Sud-Est), GENDEREDCLIMATEMIG aborde, depuis une pers­pec­tive genrée, les facteurs envi­ron­ne­men­taux de la migra­tion. Certes, les causes liées au climat sont souvent diffi­ciles à isoler et les migra­tions résultent d’une combi­naison de facteurs. Il appa­raît néan­moins qu’en l’absence de caté­gorie admi­nis­tra­tive ou juri­dique corres­pon­dante, les facteurs qui relèvent de contextes envi­ron­ne­men­taux affectés par le chan­ge­ment clima­tique ne sont pas appré­hendés au niveau statis­tique, et leur poids relatif dans les migra­tions contem­po­raines reste peu étudié.
Le projet vise à produire des études de cas ethno­gra­phiques dans trois pays impor­tants pour les migra­tions locales, régio­nales et inter­na­tio­nales : le Mexique, le Maroc et la Malaisie. Ces trois pays occupent une posi­tion unique en tant que pays d’ori­gine, de transit et de desti­na­tion : ils connaissent des mobi­lités internes induites par le chan­ge­ment clima­tique, une migra­tion inter­na­tio­nale en prove­nance de plusieurs pays de leur région parti­cu­liè­re­ment affectés par le chan­ge­ment clima­tique, ainsi que des taux d’émi­gra­tion importants.
Le projet comprend égale­ment une étude multi-située portant sur l’état actuel de la gouver­nance des migra­tions envi­ron­ne­men­tales à diffé­rents niveaux, avec une atten­tion parti­cu­lière portée aux initia­tives multi­la­té­rales, notam­ment autour des acti­vités menées depuis 2015 par le groupe de travail « dépla­ce­ment » sous l’égide la Conven­tion-cadre des Nations Unies sur les chan­ge­ments clima­tiques. Cette enquête appro­fon­dira en outre la ques­tion des moda­lités de prise en compte des inéga­lités de genre dans la fabrique des poli­tiques publiques en matière de gouver­nance des migra­tions environnementales.

Une méthodologie participative inspirée des approches féministes 

GENDEREDCLIMATEMIG s’ap­puie sur des méthodes quali­ta­tives déployées avec une approche parti­ci­pa­tive. Il s’agit ainsi de penser comment assurer, à tous les stades de la recherche, une impli­ca­tion signi­fi­ca­tive des personnes y parti­ci­pant. Les voix des personnes migrantes et réfu­giées ont été margi­na­li­sées dans les études sur les migra­tions et c’est pour­quoi l’apport des métho­do­lo­gies fémi­nistes parti­ci­pa­tives peut s’avérer crucial. L’approche parti­ci­pa­tive améliore à la fois le processus de recherche et ses résul­tats : elle renforce les résul­tats de la recherche en garan­tis­sant leur vali­dité sociale et elle produit des résul­tats de recherche alter­na­tifs avec un poten­tiel plus élevé pour une large diffu­sion, y compris auprès des commu­nautés concer­nées. Les groupes de discussion co-animés et co-faci­lités consti­tuent par exemple un dispo­sitif impor­tant des trois enquêtes menées auprès des personnes migrantes car la dimen­sion collec­tive de cette méthode permet un échange réflexif et la co-construc­tion d’in­ter­pré­ta­tions avec les parti­ci­pants à la recherche. 

« La figure des « réfugiés climatiques » fait d’ores-et-déjà l’objet d’instrumentalisations […] Ces représentations simplistes ont peu à voir avec les réalités des migrations, les trajectoires concrètes et les expériences incarnées. »

Nina Sahraoui, sociologue

Contribuer à une production de connaissances ancrées dans des ethnographies de longue durée

La figure des « réfu­giés clima­tiques » fait d’ores-et-déjà l’objet d’instrumentalisations qui suggèrent que le chan­ge­ment clima­tique condui­rait à l’arrivée de dizaines voire de centaines de millions de personnes des pays dits du Sud global vers les pays dits du Nord. Ces repré­sen­ta­tions simplistes ont peu à voir avec les réalités des migra­tions, les trajec­toires concrètes et les expé­riences incar­nées. Les personnes dont l’environnement est affecté par le chan­ge­ment clima­tique peuvent décider ou être contraintes de rester, entre­prendre des mobi­lités régio­nales et, parfois, engager des trajec­toires migra­toires plus loin­taines, dont les déter­mi­nants relèvent d’une multi­pli­cité de facteurs. Les inéga­lités de genre traversent et struc­turent toutes ces situa­tions. Les métho­do­lo­gies parti­ci­pa­tives de ce projet de recherche visent préci­sé­ment à resti­tuer cette complexité et contri­buer de ce fait à une produc­tion de savoirs sur les migra­tions en contexte de chan­ge­ment clima­tique au prisme du genre qui permette de décons­truire les repré­sen­ta­tions réductrices.

Pour aller plus loin
    • Boas I., Farbotko C., Adams H., Sterly H., Bush S., Van der Geest K., … & Hulme M., 2019. « Climate migra­tion myths. » Nature Climate Change, n°9(12), pp. 901–903.
    • McLeman R., & Gemenne F., (Eds.), 2018. Rout­ledge hand­book of envi­ron­mental displa­ce­ment and migra­tion, Rout­ledge.
    • Rajan S. I., & Bhaga R. B., (Eds.), 2017). Climate change, vulne­ra­bi­lity and migra­tion, Taylor & Francis.
    • Van Praag L., Ou-Salah L., Hut E., & Zick­graf C., 2021. Migra­tion and Envi­ron­mental Change in Morocco : In search for Linkages Between Migra­tion Aspi­ra­tions and (Perceived) Envi­ron­mental Changes, Springer : Imiscoe Research Series.
L’autrice

Nina Sahraoui est Prin­cipal Inves­ti­gator (PI) du projet ERC GENDEREDCLIMATEMIG mené au labo­ra­toire PRINTEMPS, CNRS et fellow de l’IC Migra­tions. Ses travaux portent sur l’articulation des ques­tions migra­toires et de genre. L’ouvrage issu de ses recherches docto­rales a été publié chez Palgrave Macmillan sous le titre Racia­lised Care Workers and Euro­pean Older-Age Care. From Care Labour to Care Ethics (2019). Ses publi­ca­tions récentes incluent notam­ment les ouvrages Gender-Based Violence in Migra­tion : Inter­dis­ci­pli­nary, Femi­nist and Inter­sec­tional Approaches (chez Palgrave, 2022) et Post­co­lo­nia­lity and Forced Migra­tion (chez Bristol Univer­sity Press, 2022).

Citer cet article

Nina Sahraoui, « : Étudier les facteurs envi­ron­ne­men­taux des migra­tions contem­po­raines au prisme du genre », in : Audrey Lenoël et Jérôme Valette (dir.), Dossier « Migra­tions et climat : la fonte des certi­tudes », De facto [En ligne], 36 | Décembre 2023, mis en ligne le 13 décembre 2023. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2023/12/07/defacto-036–07/

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