Marine Denis, juriste
Avec les effets croissants du changement climatique, le HCR et l’OIM s’interrogent depuis le début des années 2000 sur les cadres du droit international permettant la protection des personnes déplacées pour des raisons environnementales.
Photo : page Facebook UN Volunteers
Les impacts du changement climatique et des dégradations environnementales sur les mouvements de population constituent de nouveaux défis au regard du droit international public et de la gouvernance mondiale des migrations. Si la responsabilité de protéger la population incombe en premier lieu aux États, le rôle des organisations internationales fut rapidement interrogé. Le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies (HCR) et l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) ont été envisagés comme des acteurs pertinents pour participer aux réflexions juridiques sur la recherche d’instruments de protection en faveur des personnes déplacées pour des raisons environnementales et climatiques. Pourtant, la complexité qui sous-tend la qualification juridique de cette nouvelle catégorie a rendu difficile l’identification de leurs responsabilités en matière de protection. En dépit du cadre de leur mandat, de prime abord limité, les deux institutions internationales ont toutefois investi cette thématique dans de nouveaux espaces de gouvernance internationale au début des années 2000. Ces deux institutions ont développé une pratique d’intervention et d’assistance humanitaire post-catastrophe naturelle, en dehors du cadre juridique préétabli, répondant dans le même temps à une dynamique d’expansion politique.
Quelle protection des déplacés environnementaux ?
Les réflexions relatives à la recherche d’une protection juridique et humanitaire pour les personnes déplacées environnementales ont émergé dans la sphère environnementaliste à l’aube du XXIe siècle. Les premiers travaux sur la migration liée aux dégradations environnementales ont été réalisés dans la sphère environnementaliste onusienne, mais également dans celle de la défense, à travers le développement d’une approche sécuritaire du risque environnemental[1]A. ESTEVE, « Preparing the French Military to a Warming World : Climatization through Riskification », dans International Politics, 58 (4), 2021, pp. 604–607. La migration environnementale était perçue par le Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) comme une menace pour la sécurité humaine [2]C. METHMANN, A. OELS, « From fearing to empowering climate refugees : Governing climate-induced migration in the name of resilience » dans Security Dialogue, vol. 46, n° 1, Special issue on Resilience and (in)security, 2015, pp. 56–58. Le rôle des organisations et institutions internationales, notamment celui du HCR et de l’OIM, face à ce nouveau défi, a été invoqué par la sphère académique, de nombreuses ONG internationales et les états les plus exposés aux effets du changement climatique. Historiquement, le HCR et l’OIM ont été mandatés en 1950 par les États pour assurer, respectivement, la protection des personnes réfugiées et le transfert organisé des réfugiés, des personnes déplacées et des migrants. Créés dans un contexte historique post-seconde guerre mondiale, ces deux organisations se sont concentrées sur les facteurs traditionnels de déplacement inscrits dans leurs mandats. La recherche de cadres de protection pour les déplacés environnementaux soulève l’épineuse question de leur qualification juridique et le rôle de protection incombant à ces institutions.
La protection des déplacés environnementaux par le HCR à l’épreuve de la Convention de Genève
Adoptée par les États parties aux Nations Unies et signée à Genève le 28 juillet 1951, la Convention de Genève n’a jamais été rédigée et modifiée pour intégrer la diversification des causes et des trajectoires des mobilités humaines. Le concept de réfugié tel qu’il existe dans la Convention de Genève renvoie à des facteurs de déplacement d’origine strictement humaine et exclut d’office les facteurs environnementaux et climatiques en tant que critères de persécution pouvant nécessiter l’octroi d’une protection juridique. Le HCR est le gardien de la Convention de Genève, il dispose d’un mandat unique pour superviser son application et octroie une protection aux personnes requérantes. La création du HCR prend racine dans un contexte de traumatisme post-1945, de début de la guerre froide et d’accroissement de la protection humanitaire des personnes déplacées en Europe de l’Est dans le bloc soviétique. L’adoption du Protocole additionnel à la Convention de Genève en 1967 a marqué un élargissement du domaine d’action du HCR et une extension de son mandat de protection à l’égard de nouvelles « catégories » de population (déplacés internes, apatrides)[3]C. COURNIL, B. MAYER, Les migrations environnementales, enjeux et gouvernance, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p. 87. Néanmoins, l’intérêt du HCR pour les déplacements forcés de population liés à des facteurs environnementaux s’est heurté très tôt au cadre de son mandat. Plusieurs juristes ont pointé le risque d’une révision de la Convention de Genève de 1951, qui occasionnerait un effet contre-productif et la perte d’acquis juridiques. En effet, une telle révision nécessite la réunion des États parties à la Convention et la réouverture de la Convention de Genève. De fait, certains gouvernements conservateurs, craignant un potentiel appel d’air pourraient y voir une occasion de revenir sur certaines des actions du HCR et ainsi réduire son mandat.
« L’intérêt du HCR pour les déplacements forcés de population liés à des facteurs environnementaux s’est heurté très tôt au cadre de son mandat. »
Marine Denis, juriste
L’OIM, un cadre juridique d’intervention humanitaire plus souple
Si la Convention de Genève constitue le socle protecteur du droit international des réfugiés, il n’existe pas, à ce jour, d’instrument juridique complet qui institue un cadre applicable à la gouvernance de la migration. À cet égard, la Convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leurs familles a été adoptée le 18 décembre 1990. Contrairement au HCR qui dispose d’un mandat identifié et clair, l’acte constitutif de l’OIM est moins délimité. En dépit d’une fragilité[4]A. PECOUD, H. THIOLLET, « Introduction : the institutions of global migration governance », dans H. THIOLLET, A. PECOUD, Research Handbook on The Institutions of Migration Governance, Edward Elgar Publishing, London, 2023, p. 2 sur le plan institutionnel, le mandat plus souple de l’OIM paraît mieux adapté pour intégrer des opérations de protection à destination des personnes déplacées en raison de facteurs environnementaux et climatiques. L’OIM, organisation non normative, se présente comme l’agence internationale pour les migrations, agissant à la fois comme un producteur et une source importante de données, de conseils et d’assistance technique pour ses États membres. La création de l’OIM procède historiquement de la volonté politique des États-Unis et d’autres États occidentaux de mettre en place une agence qui répondrait à des fonctions opérationnelles[5]J. ELIE, « The Historical Roots of Cooperation Between the UN High Commissioner for Refugees and the International Organization for Migration, Global Governance », vol. 16, No. 3, international Migration (July-Sept. 2010), p. 349. Les pratiques et les services de l’OIM aux États ont fait l’objet de critiques en raison de leur complaisance et de leur positionnement centré sur le contrôle aux frontières[6]A. PECOUD, « La bonne gouvernance des frontières ? », dans Plein droit, n° 87, décembre 2010, p. 24. L’OIM intervient auprès des gouvernements pour les aider à surveiller leurs frontières, participe au contrôle des flux migratoires et propose des services concrets pour les mettre en œuvre sur le terrain. À la demande de certaines organisations internationales, l’OIM est devenue chef de file des acteurs internationaux du secteur humanitaire dans les années 90. Parallèlement, elle s’est intéressée à la question des migrations liées à des facteurs environnementaux et a développé depuis une expertise et une pratique d’assistance post-catastrophe naturelle dans de nombreux Etats d’accueil dans lesquels elle disposait d’un bureau (Sri-Lanka en 2004, Népal en 2015, Mozambique en 2019 etc.)[7]N. HALL, « How IOM Reshaped Its Obligations on Climate-Related Migration », dans M. BRADLEY, C. COSTELLO, A. SHERWOOD, IOM Unbound ? Obligations and Accountability of the International Organization for Migration in an Era of Expansion, Cambridge University Press, 15 juin 2023, p. 220.
La sanctuarisation du mandat du HCR n’a pas constitué un frein systématique à l’élargissement de ses interventions, lui permettant de répondre à de nouveaux besoins de protection. L’appropriation de la migration environnementale par l’OIM lui a permis de préserver sa pertinence au sein d’un environnement onusien concurrentiel. La prise en charge des déplacés environnementaux par le HCR et l’OIM requiert toutefois une augmentation considérable de moyens en matière de ressources humaines, d’assistance matérielle et de suivi des opérations sur le terrain. Le sujet est épineux lorsque l’on sait que les budgets du HCR et de l’OIM dépendent de la bonne volonté des États et que les contributions faites par les États sont également soumises aux contraintes budgétaires internes et aux choix politiques nationaux.
Notes[+]
↑1 | A. ESTEVE, « Preparing the French Military to a Warming World : Climatization through Riskification », dans International Politics, 58 (4), 2021, pp. 604–607 |
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↑2 | C. METHMANN, A. OELS, « From fearing to empowering climate refugees : Governing climate-induced migration in the name of resilience » dans Security Dialogue, vol. 46, n° 1, Special issue on Resilience and (in)security, 2015, pp. 56–58 |
↑3 | C. COURNIL, B. MAYER, Les migrations environnementales, enjeux et gouvernance, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p. 87 |
↑4 | A. PECOUD, H. THIOLLET, « Introduction : the institutions of global migration governance », dans H. THIOLLET, A. PECOUD, Research Handbook on The Institutions of Migration Governance, Edward Elgar Publishing, London, 2023, p. 2 |
↑5 | J. ELIE, « The Historical Roots of Cooperation Between the UN High Commissioner for Refugees and the International Organization for Migration, Global Governance », vol. 16, No. 3, international Migration (July-Sept. 2010), p. 349 |
↑6 | A. PECOUD, « La bonne gouvernance des frontières ? », dans Plein droit, n° 87, décembre 2010, p. 24 |
↑7 | N. HALL, « How IOM Reshaped Its Obligations on Climate-Related Migration », dans M. BRADLEY, C. COSTELLO, A. SHERWOOD, IOM Unbound ? Obligations and Accountability of the International Organization for Migration in an Era of Expansion, Cambridge University Press, 15 juin 2023, p. 220 |
Pour aller plus loin
- Kada N., 2021. « Les catastrophes naturelles, les personnes déplacées et les inégalités climatiques », Changements climatiques globaux et outils juridiques locaux, le citoyen en première ligne, Dalloz.
- Cournil C., 2020. « Greenpeace Asie du Sud-Est et autres c/Carbon Majors (2015–2020) », Les grandes affaires climatiques, coll. Confluence des droits.
- « Migrations et changements climatiques : état des lieux, état du droit : migrations climatiques, enjeu de droit international », Questions internationales, n°102, mars-avril 2020.
- « L’Anthropocène : un désordre planétaire », Question Internationales, La documentation Française, mai 2017.
L’autrice
Marine Denis est doctorante à l’IRIS (Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux) de l’EHESS et au CERAP (Centre d’Études et de Recherches Administratives et Politiques) de l’Université Paris 13. Ses recherches de doctorat en droit et en sciences politiques questionnent le cadre des mandats du HCR et de l’OIM pour assurer la protection juridique et humanitaire des déplacés environnementaux. Elle a enseigné le droit international public et le droit de l’environnement à Sciences Po Paris, l’Université Jean Moulin Lyon III, Sciences Po Grenoble et l’EM Lyon.
Citer cet article
Marine Denis, « La piste d’une protection des déplacés environnementaux par le HCR et l’OIM : du cadre juridique à l’opportunité politique », in : Audrey Lenoël et Jérôme Valette (dir.), Dossier « Migrations et climat : la fonte des certitudes », De facto [En ligne], 36 | Décembre 2023, mis en ligne le 13 décembre 2023. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2023/12/07/defacto-036–02/
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