Les « villes accueillantes » s’organisent en réseau mondial

Filippo Furri, anthropologue, et Thomas Lacroix, géographe

L’immigration n’est pas une préoccupation nouvelle des collectivités territoriales, mais la mise en place de politiques migratoires de plus en plus restrictives a suscité une mobilisation plus importante des élus locaux. Pour la première fois, la construction d’un « réseau de réseaux » de villes accueillantes se déploie à l’échelle mondiale. La recherche nous permet aujourd’hui de présenter ces deux cartes aux lecteurs de De facto.

La ques­tion migra­toire est, avec le chan­ge­ment clima­tique, l’un des axes majeurs de la diplo­matie urbaine. La carte ci-dessus présente huit réseaux dont les membres sont répartis dans l’ensemble du monde. Elle montre que cette dyna­mique ne concerne pas unique­ment les prin­ci­paux pays d’immigration, même si ces réseaux se croisent en Europe, centre névral­gique de la mobilisation.

Deux sortes de réseaux de villes se sont mises en place

Il y a d’abord l’émergence des « villes mondiales » qui déve­loppent un agenda inter­na­tional pour la promo­tion de leurs inté­rêts et de leur image. Le Parle­ment Global des Maires (GPM) et Métro­polis sont deux réseaux de grandes villes inter­na­tio­nales enga­gées sur une diver­sité de sujets. Sur les ques­tions migra­toires, ils défendent une vision socio-écono­mique de la migra­tion, au-delà du contrôle et du statut des gens qui s’y trouvent. Le réseau Icorn offre un accueil aux artistes en exil. L’Observatoire sur le vivre ensemble (OMVE) est soutenu par l’association des maires fran­co­phones et agit pour la promo­tion de la cohé­sion sociale et la lutte contre les discriminations.

L’autre raison de la créa­tion de ces réseaux de villes est la recon­nais­sance par les orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales du rôle des muni­ci­pa­lités comme parte­naires des poli­tiques publiques. De nombreux réseaux sont des émana­tions des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales : Cités et Gouver­ne­ments Locaux Unis (CGLU) est le conseil repré­sen­tatif des collec­ti­vités terri­to­riales dans le système onusien. Réseau géné­ra­liste, il héberge un groupe de travail sur les ques­tions migra­toires et finance l’Obser­va­toire des villes inclu­sives (Ovi). Le réseau des villes inter­cul­tu­relles (ICN) est un projet du Conseil de l’Eu­rope ; celui des villes inclu­sives et durables (Iccar), un projet de l’Unesco pour la lutte contre le racisme et la discrimination.

Ces réseaux d’envergure mondiale ne consti­tuent que le sommet d’un iceberg qui comprend de nombreuses orga­ni­sa­tions natio­nales et régio­nales. Comme au niveau mondial, certains réseaux émanent des villes, d’autres des insti­tu­tions. L’Union Euro­péenne soutient le réseau Euro­cités, en faveur de la promo­tion des inté­rêts muni­ci­paux, tout en finan­çant un grand nombre de projets et réseaux muni­ci­paux, tels le Conseil des communes et régions d’Europe (CCRE), URBACT, etc.

Des villes se mobilisent dès 2015 contre les politiques migratoires des États

Ces réseaux très insti­tu­tion­na­lisés ont d’abord servi à la promo­tion de diffé­rents modèles de lutte contre les discri­mi­na­tions et de poli­tiques d’intégration (poli­tique de la diver­sité, inter­cul­tu­ra­lisme, etc.). Ils ont été très actifs dans les négo­cia­tions accom­pa­gnant les Pactes mondiaux sur les migra­tions et les réfu­giés, mais, depuis le début des années 2000, et surtout depuis la crise de l’accueil des migrants en 2015, une autre logique est à l’œuvre.

Le tour­nant sécu­ri­taire pris par les poli­tiques migra­toires pousse les villes à prendre posi­tion sur la ques­tion de l’accueil dans une pers­pec­tive plus critique. En Europe, la poli­tique de disper­sion des deman­deurs d’asile, observée sur l’ensemble du terri­toire et menée par les États, a confronté les collec­ti­vités terri­to­riales à la problé­ma­tique de la prise en charge de ces popu­la­tions en situa­tion précaire.

Des mobilisations en lien avec la société civile

Ces mobi­li­sa­tions des villes sont très souvent en lien avec les mouve­ments de la société civile. C’est le cas du réseau de villes sanc­tuaires en Grande-Bretagne, des Welco­ming cities aux États-Unis ou des Seebrücke en Alle­magne. En Espagne, l’ONG Open Arms a permis la signa­ture conjointe par des mairies italiennes et espa­gnoles, le 9 février 2019, d’un mani­feste « pour imaginer de nouvelles stra­té­gies et actions communes à l’in­té­rieur d’une alliance de villes soli­daires réaf­fir­mant les droits des personnes sauvées ».

Résis­tances locales au Décret Salvini. Crédit : Cris­tina Del Biaggio – https://​visions​carto​.net

En Italie, lors de la publi­ca­tion du décret « Salvini », qui prévoyait d’in­ter­dire l’inscription des deman­deurs d’asile sur les registres de l’état civil en octobre 2018, le maire de Palerme appelle à la déso­béis­sance. D’autres villes se rallient à sa posi­tion et entament un travail juri­dique pour contourner les effets les plus néfastes du décret. Ce dernier a écarté 80 000 personnes des dispo­si­tifs d’ac­cueil et risque de faire monter à 750 000 le nombre des migrants en situa­tion d’irrégularité en janvier 2021. 

De plus en plus mobi­lisés contre la poli­tique de leur État ou des insti­tu­tions supra­na­tio­nales, ces réseaux se retrouvent sur une théma­tique commune : permettre l’accès aux services sociaux à des migrants, quel que soit leur statut juridique. 

Pour aller plus loin
Auteur

Filippo Furri est docto­rant à l’Université de Mont­réal et membre du réseau Migreurop. Thomas Lacroix est direc­teur de recherche CNRS à la Maison Fran­çaise d’Oxford, cher­cheur associé à Migrinter (UMR 7301) et au Ceri (UMR 7050). Ils sont tous les deux fellows de l’IC Migrations.

Pour citer cet article

Filippo Furri et Thomas Lacroix, « Les “villes accueillantes” s’organisent en réseau mondial », in : Michel Agier (dir.), Dossier « Les villes accueillantes », De facto [En ligne], 16 | Février 2020, mis en ligne le 26 février 2020. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2020/02/24/defacto-016–04/

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