Les discriminations diminuent-elles avec la mobilité sociale ?

Patrick Simon, sociodémographe

On considère souvent que le racisme et les discriminations frappent en priorité les minorités de milieux populaires et qu’elles diminuent à mesure que l’on s’élève socialement. L’enquête Trajectoires et Origines (TeO) montre une autre réalité. 

Les classes supé­rieures d’origine immi­grée, proté­gées par leur statut social, connai­traient-elles moins la stig­ma­ti­sa­tion et les discri­mi­na­tions dans leur vie quoti­dienne que les autres ? Un fait divers survenu aux États-Unis montre pour­tant que les membres racisés des élites peuvent souf­frir de trai­te­ments discri­mi­na­toires, voire d’actes de racisme. Le 16 juillet 2009, Henri Louis Gates Jr., profes­seur de litté­ra­ture et d’études afro-améri­caines à Harvard, est inter­pellé devant son domi­cile alors qu’il essaye de forcer sa serrure parce qu’il a perdu ses clés… Victime d’un « délit de faciès », son statut de profes­seur dans une pres­ti­gieuse univer­sité et d’intellectuel public ne l’a abso­lu­ment pas protégé d’une mise en garde à vue au commis­sa­riat. Son atti­tude « suspecte », asso­ciée à sa couleur de peau, l’a trans­formé en délinquant.

Ce racisme et ces discri­mi­na­tions ne prennent pas néces­sai­re­ment les mêmes formes que pour les classes popu­laires, mais elles restent tenaces et impactent signi­fi­ca­ti­ve­ment les chances des classes moyennes raci­sées d’avoir accès aux mêmes posi­tions que la majo­rité des membres de l’élite.

Les descendants d’immigrés diplômés du supérieur déclarent plus de discriminations

L’enquête Trajec­toires et Origines (TeO), réalisée par l’Insee et l’Ined en 2008–2009, a montré que les descen­dants d’immigrés socia­lisés en France et ayant grimpé dans l’échelle sociale décla­raient (quelque que soit leur origine ethnique1) plus de discri­mi­na­tions que le reste de la popu­la­tion. Plus surpre­nant, TeO montre aussi que les plus diplômés se sentent plus touchés par les trai­te­ments inéga­li­taires et discri­mi­na­toires que ceux qui n’ont pas pour­suivis d’études supérieures.

Ce graphique issu de l’enquête TeO montre que, pour les enquêtés, la reli­gion, la mixité — ou non — du couple parental, le niveau d’étude et l’origine ont une influence signi­fi­ca­tive sur la proba­bi­lité de déclarer des discri­mi­na­tions. Il illustre que, par rapport aux descen­dants d’immigrés asia­tiques, les descen­dants de Magh­ré­bins et de Subsa­ha­riens ont 1,9 et 1,3 fois plus de risques de subir des trai­te­ments inéga­li­taires ou des discri­mi­na­tions. Ce n’est pas le cas des descen­dants d’immigrés turcs ou de ceux origi­naires d’Europe du Sud, qui ont 2,6 fois moins de risque de subir cette expé­rience. Le résultat impor­tant ici est que les plus diplômés déclarent plus de discri­mi­na­tions quels que soient l’origine, la reli­gion, le sexe ou l’âge.

Les minorités très diplômées identifient plus facilement les comportements discriminants

Il y a deux façons d’interpréter ces résul­tats : les plus éduqués ont des aspi­ra­tions impor­tantes et vivent plus diffi­ci­le­ment les blocages auxquels ils font face. Ils ont un capital culturel plus impor­tant que les moins diplômés pour analyser certaines situa­tions comme étant effec­ti­ve­ment discri­mi­nantes ; les plus éduqués, forte­ment quali­fiés, se posi­tionnent sur des segments du marché du travail très compé­ti­tifs où les personnes raci­sées sont peu présentes. Le sexe du candidat et son origine jouent un rôle d’autant plus impor­tant que les compé­tences sont un prére­quis pour pouvoir postuler à certains postes.

La sensi­bi­lité et la suscep­ti­bi­lité de ces mino­rités très diplô­mées se combinent au fait qu’elles cherchent à inté­grer les milieux les plus sélec­tifs de la société où elles restent des outsi­ders. C’est ce qui explique la perma­nence des discri­mi­na­tions vis-à-vis des descen­dants d’immigrés dans les classes supé­rieures et que l’argent ne blan­chit pas toujours la peau comme le voudrait l’axiome money whitens.

1 38% pour la seconde géné­ra­tion magh­ré­bine et 30 % pour les immi­grés de cette origine ; 49 % et 47 % pour les origi­naires d’Afrique sub-saha­rienne, 39 % et 31 % pour les origi­naires des Doms, 24 % et 18 % pour les origi­naires d’Asie.

Pour aller plus loin
Auteur

Patrick Simon, direc­teur du dépar­te­ment Integer de l’Institut Conver­gences Migra­tions, est socio­dé­mo­graphe. Il est direc­teur de recherche à l’Ined où il parti­cipe notam­ment à la coor­di­na­tion des enquêtes Trajec­toires et Origines (TeO) réali­sées par l’Insee et l’Ined. La deuxième enquête (2019–2020) est actuel­le­ment en cours.

Citer cet article

Patrick Simon, « Les discri­mi­na­tions dimi­nuent-elles avec la mobi­lité sociale ? », in : Solène Brun et Patrick Simon, Dossier « Classes supé­rieurs et diplômés face au racisme et aux discri­mi­na­tions en France », De facto [En ligne], 13 | novembre 2019, mis en ligne le 20 novembre 2019. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2019/11/18/defacto-013–04

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