Loi immigration — la tribune de l’Institut Convergences Migrations

En réponse à la victoire de l’idéologie sur les faits : résistons !

Au lende­main du vote par le Parle­ment fran­çais de la loi sur l’immigration, l’Institut Conver­gences Migra­tions, qui réunit plus de 700 cher­cheuses et cher­cheurs à travers la France sous l’égide du CNRS, tient à exprimer solen­nel­le­ment sa profonde indi­gna­tion. On sait comment le texte a été rédigé : la droite séna­to­riale a repris à son compte les mesures préco­ni­sées de longue date par l’extrême droite. Les trac­ta­tions de la Commis­sion mixte pari­taire ont débouché sur une version dite de « compromis », qui a conservé l’essentiel du texte séna­to­rial, le plus répressif jamais voté en France depuis la Seconde Guerre mondiale sur l’immigration, au point que nombre de mesures incluses dans le texte pour­raient être décla­rées contraires à la Constitution.

Cette démis­sion du parti au pouvoir devant la poussée de l’extrême droite n’est pas seule­ment une faute poli­tique et morale, elle bafoue les droits humains les plus fonda­men­taux et fait fi des données les plus élémen­taires mises en évidence par nos recherches.

  • Non, la France n’est pas « submergée » par une immi­gra­tion « hors contrôle », elle connaît une progres­sion de la demande de refuge et de séjour qui traduit un phéno­mène mondial, et ce à un rythme plus modéré que la plupart des pays voisins, loin des niveaux observés dans les pays du Sud.
  • Non, nous n’avons pas « le modèle social le plus géné­reux d’Europe qui fait de la France la desti­na­tion privi­lé­giée pour les migrants » : nous sommes très loin d’avoir pris notre part dans l’enregistrement des demandes d’asile venues du Proche et du Moyen Orient. Plus géné­ra­le­ment, la répar­ti­tion des migrants et des réfu­giés à travers l’Europe n’a aucun lien avec la géné­ro­sité de la protec­tion sociale : l’« appel d’air » est un mythe jamais démontré.
  • Non, la suren­chère dans la « fermeté » n’a jamais réussi à réduire les « flux d’entrée », elle crée un effet de nasse en bloquant les va-et-vient entre pays d’origine et pays de destination.
  • Non, les immi­grés ne prennent pas le travail des Fran­çais, ils accom­plissent des tâches indis­pen­sables au fonc­tion­ne­ment de l’économie et de la vie sociale, comme l’a démontré le rôle qu’ils ont joué pendant la pandémie et encore aujourd’hui au moment de l’organisation des Jeux Olym­piques. Et l’on pour­rait multi­plier ainsi les exemples.
  • Non, enfin, la popu­la­tion fran­çaise n’est pas systé­ma­ti­que­ment hostile à l’immigration pour peu qu’on lui pose des ques­tions circons­tan­ciées dans des enquêtes et des obser­va­tions menées avec la rigueur nécessaire.

L’Institut Conver­gences Migra­tions dénonce cette nouvelle loi qui, sous couleur d’« améliorer l’intégration », s’emploient systé­ma­ti­que­ment à la retarder ou à l’entraver : allon­ge­ment du délai pour obtenir le regrou­pe­ment fami­lial, allon­ge­ment de durée de séjour pour les aides contri­bu­tives (loge­ment et allo­ca­tions fami­liales), pouvoir accru des préfets pour décider des régu­la­ri­sa­tions dans les métiers en tension, retour à la loi Méhai­gnerie de 1994 qui exigeait des enfants d’immigrés nés en France une « mani­fes­ta­tion de volonté d’acquisition de la natio­na­lité fran­çaise », etc. L’Institut dénonce aussi le réta­blis­se­ment du délit de séjour irré­gu­lier, que le Parle­ment avait aboli en décembre 2012 à la suite de deux arrêts de la Cour de cassa­tion. Il affirme sa pleine soli­da­rité à l’égard des étudiants étran­gers qui devront désor­mais verser une caution pour couvrir le coût d’éventuels « frais d’éloignement ». Plus géné­ra­le­ment, il dénonce une approche géné­rale de la migra­tion essen­tiel­le­ment sécu­ri­taire, iden­ti­taire ou utili­ta­riste, indû­ment mono­po­lisée par le minis­tère de l’Intérieur. Elle fait fi des réalités humaines vécues par les femmes, les hommes et les enfants concernés. Elle fait fi de leurs droits, de leur protec­tion sociale et de leur santé.

Le vote de cette loi, c’est d’abord la victoire de l’idéologie sur les faits, le triomphe des fantasmes sur des réalités mécon­nues ou déniées. Au-delà de la loi votée ce 19 décembre, l’Institut Conver­gences Migra­tions pour­suivra dès lors ses missions : mobi­liser la recherche dans toutes les disci­plines pour établir les faits, resti­tuer l’expérience vécue de la migra­tion, analyser les méca­nismes de discri­mi­na­tion et d’intégration, diffuser les résul­tats de la recherche au public le plus large, et de cette manière contre­carrer les idées reçues.

Confor­mé­ment à sa mission, l’Institut Conver­gences Migra­tions conti­nuera de déve­lopper ses parte­na­riats avec les asso­cia­tions de soutien juri­dique et d’assistance huma­ni­taire qui travaillent au plus près avec les personnes en migra­tion. L’Institut pour­suivra ses colla­bo­ra­tions avec tous les acteurs acadé­miques, insti­tu­tion­nels, asso­cia­tifs concernés et engagés avec et auprès des personnes en migra­tion. L’Institut appelle au sursaut collectif et à la résis­tance construc­tive de tous les acteurs engagés sur les ques­tions migra­toires pour une France ouverte et au plus près des réalités sociales, écono­miques et poli­tiques de notre pays.

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