Franciszek Zakrzewski et Tymek Skowroński, historiens
La Pologne partage ses frontières avec la Biélorussie et l’Ukraine. Ces deux limites extérieures de l’UE sont devenues, depuis l’été 2021 et surtout depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un théâtre de deux crises humanitaires. Opposées par leur nature, leur ampleur et les statuts juridiques des personnes migrantes, elles diffèrent aussi par la réponse des autorités polonaises et la mobilisation des membres de la société civile.
« La semaine dernière, nous avons reçu une visite de la part des gardes-frontières dans nos locaux. Ils sont venus nous demander de coopérer, d’aider les Ukrainiens. On n’arrivait pas à y croire. C’étaient les mêmes gardes-frontières qui rendaient notre travail difficile lorsqu’on essayait d’aider les demandeurs d’asile du Moyen-Orient entrant en Pologne depuis la Biélorussie[1]Source : The Guardian, 3 mars 2022. URL : https://www.theguardian.com/global-development/2022/mar/05/poland-rush-to-aid-ukraine-refugees-russia-war.», confiait début mars Anna Dąbrowska, présidente de Homo Faber[2]Site de l’association : https://arch.hf.org.pl/index.php?id=7., association basée à Lublin qui s’engage aux deux frontières orientales du pays.
953,42 kilomètres : entre guerre « hybride » et guerre réelle à proximité
La Pologne partage 418,24 km de frontière avec la Biélorussie, et 535,18 km avec l’Ukraine. Ces deux limites extérieures de l’UE sont devenues, depuis l’été dernier, et surtout depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, un théâtre de deux crises humanitaires. D’ampleur et de nature différentes, les situations aux deux frontières diffèrent tant par les statuts juridiques des personnes migrantes, que par la réponse des autorités polonaises et la mobilisation des membres de la société civile. Elles peuvent toutefois être suivies depuis le point de vue des associations qui s’engagent aux deux frontières, à l’instar de Homo Faber, et en offrent par là même une lecture croisée.
Cette association de Lublin a fait[3]Homo Faber a quitté Grupa Granica le 16 mars 2022, faute de moyens pour continuer à s’engager pleinement sur la frontière biélorusse et à aider dans l’accueil de milliers de réfugié.e.s venus d’Ukraine. Elle a toutefois continué à collaborer avec Grupa Granica notamment par le maintien d’un poste à Siemiatycze, … Lire la suite partie de Grupa Granica (pol. « Groupe Frontière »)[4]Voir le site de Grupa Granica : https://www.grupagranica.pl/., un mouvement social, créé en août dernier pour venir en aide aux personnes migrantes à la frontière biélorusse, et qui fédère 14 organisations, ainsi que des habitant·e·s de la région frontalière et des activistes indépendant·e s. Dans son rapport (disponible en anglais)[5]Consulter le rapport : https://www.grupagranica.pl/files/Grupa-Granica-Report-Humanitarian-crisis-at-the-Polish-Belarusian-border.pdf., Grupa Granica décrit la situation en cours depuis l’été 2021 comme le fruit d’une orchestration par le régime d’Alexandre Loukachenko, qui utilise le trafic d’êtres humains pour déstabiliser l’UE et se venger des décisions politiques qui ont suivi les élections frauduleuses de 2020. Des groupes de migrant.e.s, dont de nombreux kurdes irakiens, ont été leurrés par la promesse d’un passage serein vers l’Union Européenne, puis poussés violemment à traverser la frontière polonaise, en dehors des points de passage officiels, dans une zone naturelle dangereuse, composée en grande partie de la forêt primaire vaste et sauvage de Białowieża. Les autorités polonaises ont répondu à cette « guerre hybride » de façon sécuritaire : déclaration d’un état d’exception dans 183 communes frontalières de la Biélorussie, interdiction d’accès à cette zone aux non-habitants, y compris aux médias et aux organisations d’aide humanitaire, légalisation des push-back (refoulements), accusations de trafic d’humains envers certain.e.s activistes (art. 264 § 3 du Code pénal). Ces quelques milliers de personnes, qui rempliraient à peine « les sièges VIP du Stade National » à Varsovie, comme le souligne le même rapport, ont suffi à diviser l’opinion et faire adopter ces mesures radicales. De ce point de vue, « Loukachenko a atteint son but », conclut Grupa Granica.
« C’est surtout la mobilisation citoyenne, par le bas, qui a été sans commune mesure : depuis deux mois, des réseaux de bénévoles et d’associations agissent à travers l’ensemble du pays. […] L’invasion russe a contribué à rendre actives de nombreuses personnes et faire émerger de nouveaux acteurs au sein de la société civile »
Franciszek Zakrzewski et Tymek Skowroński, historiens
Cette incapacité à accueillir les migrant.e.s piégés à la frontière polono-biélorusse contraste fortement avec l’accueil réservé aux personnes fuyant la guerre russo-ukrainienne. Depuis le 24 février, la Pologne a su accueillir plus de deux millions de personnes grâce à des mesures administratives : droit de traverser la frontière sans passeport ou documents d’identité pour les Ukrainien.ne.s, création de points de réception dans les communes frontalières ainsi que dans les villes[6]Voir la page gouvernementale (en anglais) : https://pomagamukrainie.gov.pl/potrzebuje-pomocy/przyjazd-do-polski., accès facilité à l’administration et aux services publics via l’obtention du numéro PESEL[7]Voir la page gouvernementale (en anglais) : https://pomagamukrainie.gov.pl/potrzebuje-pomocy/pesel. – équivalent du numéro de sécurité sociale –, gratuité des trains et des transports dans les villes polonaises aux personnes possédant des papiers ukrainiens[8]À ce jour, les gardes-frontières ont compté environ 3,7 millions de passages de la frontière ukraino-polonaise (Source : https://300gospodarka.pl/news/uchodzcy-z-ukrainy-w-polsce-liczba). Pour plusieurs raisons, ce chiffre ne correspond pas au nombre de réfugiés ukrainiens en Pologne : les retours sont de plus en plus … Lire la suite.
Mais c’est surtout la mobilisation citoyenne, par le bas, qui a été sans commune mesure : depuis deux mois, des réseaux de bénévoles et d’associations agissent à travers l’ensemble du pays. L’accueil des réfugié.e.s à la frontière, l’organisation de leur transport par navettes vers d’autres localités, la coordination du logement, l’accueil de réfugié.e.s sous son propre toit, l’aide juridique, linguistique ou administrative façonnent le nouveau quotidien des Polonais.e.s, et ce en dehors des cercles non-gouvernementaux et associatifs déjà spécialisés dans l’accueil des étrangers avant la guerre : l’invasion russe a contribué à rendre actives de nombreuses personnes et faire émerger de nouveaux acteurs au sein de la société civile. Des initiatives locales ont vu le jour, à l’instar d’associations de voisins qui coordonnent l’accueil d’Ukrainien.ne.s dans leur village ou quartier[9]Par exemple Pomoc Ukrainie : https://inicjatywasasiedzka.org/., ou encore de nombreuses cagnottes lancées en ligne[10]Comme celle-ci par exemple : https://www.siepomaga.pl/en/ukraina-potrzebuje-wsparcia.. Cette mobilisation a été particulièrement forte lors des premières semaines de la guerre pour répondre à l’afflux des réfugié.e.s à la frontière comme dans les villes : dans les gares de Varsovie, des fédérations d’acteurs différents – ONG, pompiers, scouts, habitant·e·s bénévoles – se sont créées pour coordonner l’accueil. Certaines, comme Grupa Zasoby[11]Voir le site (en polonais) : https://grupazasoby.pl/. à la Gare de l’Ouest ou Grupa Centrum à la Gare Centrale[12]Voir le groupe Facebook : https://www.facebook.com/groups/grupacentrum.waw/., ont désormais fini leur activité, en raison de la forte diminution des besoins. Reste à souligner que ces mobilisations citoyen.ne.s ont aussi pu s’appuyer sur des ONG et réseaux ukrainiens, déjà présents en Pologne, tels que la Maison ukrainienne de Varsovie[13]Voir le site (en polonais) : https://ukrainskidom.pl/.. Ainsi, à Cracovie, l’ONG Salam Lab[14]Voir le site (en anglais) : https://salamlab.pl/en/ukraine-what-have-we-achieved-so-far/. déjà engagée à la frontière biélorusse dans le cadre de Grupa Granica[15]Lire ce témoignage en anglais d’une Irakienne qui a réussi à traverser la frontière biélorusse vers la Pologne publié sur le site de Salam Lab : https://salamlab.pl/en/i‑survived-crossing-the-polish-belarusian-border-a-testimony/., a organisé un point d’accueil de réfugiés venant d’Ukraine en coopération avec la fondation polono-ukrainienne Zustricz[16]Site de la fondation Zustricz (en polonais) : https://zustricz.pl/..
Entre la « bonne » et la « mauvaise » frontière : engagement, coopération, répression
Le 17 avril, certaines associations ukrainiennes lancent toutefois un appel au gouvernement et aux forces de l’ordre concernant les migrant·e·s à la frontière biélorusse[17]Voir l’appel de Grupa Granica du 17 avril 2022 (en polonais) : https://naszwybor.org.pl/apel-2022/.. Exprimant une certaine gratitude envers les autorités polonaises pour l’accueil de 2,3 millions d’Ukrainien·ne·s, cet appel formule une protestation contre la « répression des activistes » et « l’arrêt et le refoulement immédiat des ‘immigrés illégaux’ venant du Moyen-Orient ou d’Afrique », renvoyés en Biélorussie où ils risquent « la torture et la violence ». En effet, alors même que l’accueil massif des personnes fuyant l’Ukraine attire toute l’attention au cours du mois de mars, la situation à la frontière biélorusse ne cesse de se dégrader.
« Il ne fait aucun doute que la situation en Podlachie [région frontalière de la Biélorussie — ndt] ne cesse de se détériorer depuis plusieurs jours. C’est comme si nous étions revenus au pic de la crise humanitaire d’il y a quelques mois. […] Depuis la mi-mars, les choses ont systématiquement commencé à se détériorer à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie[18]Source : OKO.press (en polonais), 22 mars 2022, https://oko.press/40-dniowe-niemowle-z-rodzina-uwiezione-na-bagnach-kryzys-na-podlasiu-trwa-nadal/. », déclare Katarzyna Czarnota, membre de Grupa Granica, le 22 mars 2022. La fermeture d’une halle à Bruzgi[19]Source : The Guardian (en anglais), 14 mars 2022, https://www.theguardian.com/global-development/2022/mar/14/fears-grow-of-new-crisis-as-refugees-in-belarus-driven-into-ukraine., côté biélorusse, semble en être une cause directe. À quelques kilomètres de la frontière polonaise, les gardes-frontières biélorusses y détiennent, parfois pendant plusieurs mois, les migrant.e.s dans des conditions terribles – des témoignages de violence[20]Source : Amnesty International (en polonais), 21 décembre 2021, https://amnesty.org.pl/bialorus-polska-ue-nowe-dowody-przemocy-wobec-uchodzcow-migrantow-ek/. et de viols[21]Source : wysokieobcasy.pl (en polonais), 25 mars 2022, https://www.wysokieobcasy.pl/wysokie-obcasy/7,163229,28263074,aktywistka-z-granicy-polsko-bialoruskiej-matka-dala-sie-zgwalcic.html?disableRedirects=true. nous sont parvenus. Parmi ces personnes, certaines ont été renvoyées dans leur pays d’origine, tandis que 700 autres, souvent en mauvaise santé, ont été poussées du côté polonais, comme le note Amnesty International Pologne[22]Voir le rapport d’Amnesty International Pologne du 11 avril 2022 (en polonais), https://amnesty.org.pl/wp-content/uploads/2022/04/Raport-Amnesty-Intrnational-POLSKA-OKRUCIENSTWO-ZAMIAST-WSPOLCZUCIA-NA-GRANICY-Z-BIALORUSIA.pdf?smclient=923ffe2e-138d-4b2a-bbde-2511e5d4c666..
Parmi celles-ci, trois familles kurdes irakiennes, comptant 18 personnes, dont neuf enfants et un paralysé, parviennent à pénétrer le territoire polonais sur une distance de 16 km. Dans la nuit du 24 au 25 mars, ils sont trouvés par des activistes accompagnés par la médecin Paulina Bownik, qui leur apporte l’aide médicale nécessaire[23]Source : wyborca.pl (en polonais), 31 mars 2022, https://bialystok.wyborcza.pl/bialystok/7,35241,28286110,prawo-na-pograniczu-push-backi-nielegalne-a-chora-kurdyjska.html?_ga=2.103632000.1288905986.1648582878–11332514.1530023801&disableRedirects=true#S.DT‑K.C‑B.1‑L.1.duzy.. Une fois arrivés, les gardes-frontières emmènent les Kurdes à leur poste où ils séparent les familles. La personne paralysée et ses proches ont le droit de déposer une demande de protection internationale et de rester dans un centre pour étrangers. Les autres, dont une femme enceinte et sept enfants, sont refoulés de l’autre côté de la palissade frontalière, sans eau, nourriture ni médicaments. À deux reprises, forcés par les gardes biélorusses, ils repassent en Pologne mais se retrouvent bloqués par les gardes polonais qui surveillent la clôture. Le 1er avril, grâce à la pression des activistes et la couverture médiatique de leur histoire, ils obtiennent enfin l’autorisation de demander la protection internationale à la Pologne, Ils sont placés dans un centre de détention d’étrangers, sous les auspices des gardes-frontières.
« Comparez la situation des activistes à chacune des frontières, ukrainienne et biélorusse. Sur l’une d’elles, ce sont des héros, nous en sommes fiers, nous les soutenons, nous nous identifions à eux. Sur la seconde, ils sont suspects. Et il s’agit souvent des mêmes activistes, des mêmes personnes, des mêmes organisations. »
Anna Błaszczak-Banasiak, directrice d’Amnesty International Pologne
Dans le même temps, entre le 29 mars et le 4 avril, les activistes de Grupa Granica secourent 130 personnes dans la forêt de Białowieża, tandis qu’au moins 36 migrant.e.s sont refoulé.e.s par les forces de l’ordre polonaises, malgré un jugement du tribunal régional de Bielsk Podlaski, en août 2021, qui a décrété illégales ces expulsions vers la Biélorussie. L’affaire concernait trois Afghans arrêtés fin août en Pologne et refoulés en pleine nuit, sans témoins, dans la zone dangereuse d’une réserve naturelle, comme l’a rappelé le tribunal[24]Source : Stowarzyszenie Interwencji Prawnej (en polonais), 31 mars 2022, https://interwencjaprawna.pl/wywozki-push-backi-sa-niehumanitarne-niezgodne-z-prawem-i-opieraja-sie-na-nielegalnym-rozporzadzeniu/.. Ce jugement mettait en question une ordonnance du Ministre de l’Intérieur du 20 août 2021, qui ordonnait de refouler à la frontière toute personne l’ayant illégalement franchie, sans exception pour les demandeurs d’asile – un texte déjà critiqué le 26 août par le Défenseur des droits civiques[25]Voir la critique du Défenseur des droits civiques (en polonais) : https://bip.brpo.gov.pl/pl/content/zmiany-w-rozporzadzeniu-w-sprawie-czasowego-zawieszenia-lub-ograniczenia-ruchu-granicznego.. La guerre a rendu ces refoulements encore plus dangereux avec une nouvelle dégradation des conditions d’existence des réfugié.e.s en Biélorussie, dont le territoire sert aux manœuvres russes et de zone de tir de missiles vers l’Ukraine.
Pourtant, les refoulements et répressions d’activistes continuent. Le 23 mars des activistes qui secouraient une famille avec sept enfants sont arrêtés[26]Source : publication dans le groupe Facebook de Grupa Granica (en polonais), 25 mars 2022, https://m.facebook.com/grupagranica/posts/379635740631694?_rdr. ; le procureur demande à leur encontre une mise en garde à vue pour trois mois, refusée par le tribunal de Hajnówka. De même, une bénévole du Club de l’Intelligentsia Catholique (KIK) est arrêtée deux jours plus tard, puis libérée sur demande d’un tribunal[27]Source : site du KIK (en polonais), 27 mars 2022 : https://www.kik.waw.pl/aktualnosci-kik/wolontariuszka-kik-zatrzymana/.. De tels actes répressifs, dont la visée est de faire peur, ont déjà été observés à l’automne à travers, par exemple, la dégradation des voitures de médecins engagés à la frontière de la Biélorussie[28]Source : Wydarzenia (en polonais), 14 nov. 2021 : https://www.rp.pl/kraj/art19100981-zniszczono-auta-medykow-pomagajacych-przy-granicy-bialoruskiej. et des perquisitions menées par la police dans un point d’aide du KIK en Podlachie[29]Source : OKO.press (en polonais), 16 déc. 2021, https://oko.press/uzbrojeni-policjanci-klubie-inteligencji-katolickiej-na-granicy-jak-najazd-na-kartel-narkotykowy/..
Ainsi, des standards différents sont appliqués par l’État et ses forces de l’ordre sur les deux frontières. L’aide est bienvenue sur l’une et criminalisée sur l’autre. Tandis que les savoir-faire des associations sont demandés pour organiser l’accueil des Ukrainien.ne.s, ils demeurent suspects aux yeux des pouvoirs dans le contexte frontalier biélorusse. « Comparez maintenant la situation des activistes à chacune de ces frontières. Sur l’une d’elles, ce sont des héros, nous en sommes fiers, nous les soutenons, nous nous identifions à eux. Sur la seconde, ils sont suspects. Et il s’agit souvent des mêmes activistes, des mêmes personnes, des mêmes organisations », déclare la directrice d’Amnesty International Pologne, Anna Błaszczak-Banasiak[30]Source : Amnesty International Pologne (en polonais), 9 mars 2022, https://oko.press/uchodzcy-nasi-i-obcy-podwojne-standardy-na-granicach-z-bialorusia-i-ukraina-rozmowa/..
Aux deux frontières, un engagement à tous les niveaux
Pourtant, l’aide continue dans les deux contextes migratoires, portée aussi par des acteurs moins visibles, comme les habitant·e·s de la zone frontalière sous état d’exception[31]Voir la page Facebook de Białowieska Akcja Humanitarna [Action humanitaire de Białowieża] créée en novembre 2021 : https://www.facebook.com/Białowieska-Akcja-Humanitarna-103160258861314/about. ou encore par des minorités ethniques et confessionnelles qui habitent la Podlachie. Ainsi, la communauté des Tatars a organisé les enterrements musulmans de victimes retrouvées dans la forêt de Białowieża[32]Source : Polskie Radio Bialystok, 27 nov. 2021, https://www.radio.bialystok.pl/wiadomosci/index/id/207398. ; elle s’engage désormais pour l’accueil de musulmans venus d’Ukraine[33]Source : site du Muzułmański Związek Religijny [Union religieuse musulmane], 17 mars 2022, http://mzr.pl/pomoc-dla-uchodzcow-z-ukrainy-w-tatarskim-centrum-kultury-islamu-w-suchowoli/..
L’aide couvre de nombreux besoins : logement, droit, éducation, santé… L’Association d’intervention juridique (Stowarzyszenie Interwencji Prawnej)[34]Voir la présentation de l’Association d’intervention juridique en anglais : https://interwencjaprawna.pl/en/about/what-we-do/. s’est ainsi engagée au sein de Grupa Granica pour offrir une assistance juridique aux migrant.e.s et aux activistes à la frontière biélorusse. Elle s’engage désormais aussi auprès des migrant.e.s d’Ukraine, démêlant la complexité des statuts juridiques variés : Ukrainien.ne.s ayant fui après le 24 février qui bénéficient de la protection spéciale, ceux présents sur le territoire polonais avant cette date, non-Ukrainien.ne.s fuyant la guerre qui ont eu plus de difficultés pour obtenir de l’aide et pérenniser leur statut, mineur.e.s non-accompagné.e.s, personnes souhaitant légaliser leur séjour en Pologne et celles transitant vers d’autres États… Stowarzyszenie Interwencji Prawnej a créé pour cela un portail trilingue[35]Site du portail légal pour les réfugié.e.s d’Ukraine : https://ukraina.interwencjaprawna.pl/en/. visant à accompagner les personnes qui tombent sous ces différents statuts.
Du point de vue du logement, le Club de l’Intelligentsia Catholique, dont les bénévoles continuent à aider à la frontière de la Biélorussie, a créé à Varsovie une auberge qui accueille les migrant.e.s non-Ukrainien.ne.s ou Roms qui peinent à trouver un logement[36]Source : The Guardian, 21 mars 2022 : https://www.theguardian.com/global-development/2022/mar/21/poland-ukraine-refugees-entire-world-hostel-everyone-welcome.. Il a contribué aussi, aux côtés de la Maison Ukrainienne de Varsovie, à la création d’une école ukrainienne, pour répondre à « l’urgence de fournir aux enfants ukrainiens ayant fui à Varsovie […] la possibilité de finir leur année scolaire »[37]Site de la Warsaw Ukrainian School : https://www.vshkolu.edu.pl/..
Homo Faber, quant à elle, s’est fédérée avec la municipalité et d’autres associations de Lublin, au sein d’un Comité Social Lublinois d’Aide à l’Ukraine[38]Page d’information sur le comité : https://www.lsi-lublin.pl/informacje-rozne/lubelski-spoleczny-komitet-pomocy-ukrainie/.. L’association basée dans une ville proche de l’Ukraine est désormais concentrée sur l’aide aux Ukrainien.ne.s, faute de moyens pour s’engager à plein temps aux deux frontières. Leur ligne verte a reçu 12 000 appels au cours des 29 premiers jours de la guerre, leurs juristes ont pris en charge plus de 1 500 affaires, et leur système de logements privés a accueilli 1 500 personnes, alors que Lublin accueille plus de 40 000 Ukrainien.ne.s, soit environ 10 % de la taille de sa population avant la généralisation de la guerre à l’ensemble du territoire ukrainien. « 320 bénévoles travaillent 24 h sur 24 dans 10 points d’accueil de la ville », soulignaient Katarzyna Wierzbińska et Anna Dąbrowska de Homo Faber lors de leur allocution au Parlement européen le 21 avril dernier[39]Voir la vidéo de l’intervention de Katarzyna Wierzbińska et Anna Dąbrowska sur la page Facebook d’Homo Faber : https://fb.watch/dvb7N89UFm/..
La situation aux deux frontières de la Pologne demeure évolutive ; elle est aussi, en soi, très différente d’une frontière à l’autre. Si le nombre d’arrivées depuis l’Ukraine a fortement diminué, voire a cédé au nombre de retours, la question de l’accueil sur le long terme se pose, dans une Pologne où les systèmes publics de santé ou d’éducation ont déjà été mis à rude épreuve par la pandémie. Un certain essoufflement se laisse entendre parmi les acteur.ice.s de la société civile, mobilisé.e.s depuis deux mois, et des tensions se font parfois jour, notamment entre les administrations locales, submergées par la crise, et le gouvernement[40]Source : Regiony (en polonais), 30 mars 2022 : https://regiony.rp.pl/debata-publiczna/art35979041-samorzadowcy-chca-zwolania-okraglego-stolu-w-sprawie-uchodzcow.. Dans le même temps, la frontière polono-ukrainienne est aussi devenue le chef-lieu du transfert de l’aide militaire et humanitaire à l’Ukraine, ainsi que des retours de ceux qui partent au front. Alors que l’offensive russe se poursuit brutalement en Ukraine, aux yeux de ses voisins polonais l’avenir semble, plus qu’autre chose, incertain.
Les auteurs
Franciszek Zakrzewski est un professionnel des musées, doctorant en histoire à l’EHESS et au sein de l’ERC Lubartworld dirigée par Claire Zalc.
Tymek Skowroński est étudiant du Master mention « Histoire » à l’EHESS.
Notes[+]
Citer cet article
Franciszek Zakrzewski et Tymek Skowroński, « Les frontières de l’aide en Pologne », in : Antonin Durand, Thomas Chopard, Catherine Gousseff et Claire Zalc (dir.), Dossier « Migrations et frontières de l’Ukraine en guerre », De facto [En ligne], 33 | Juin 2022, mis en ligne le 24 juin 2022. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2022/06/07/defacto-033–01/
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