« Une hiérarchie s’est mise en place où le réfugié est devenu l’étranger légitime et le migrant économique, l’étranger illégitime », entretien avec Karen Akoka dans un podcast du réseau Traces, 2 juil. 2021

Dans le cadre d’un entre­tien suite à l’exposition « Sur la route de l’exil – Un centre d’hébergement pour réfu­giés à Cognin-les-Gorges, 1977–1992 », Karen Akoka, maîtresse de confé­rences en science poli­tique à l’Université de Paris-Nanterre et fellow de l’Ins­titut Conver­gences Migra­tions, a été inter­viewée sur son livre L’Asile et l’exil. Une histoire de la distinc­tion réfugiés/​migrants (La Décou­verte, 2020).

« Ce n’est pas si facile de caté­go­riser les personnes et leurs trajec­toires sous ces deux labels de « réfugié et « migrant ». En effet, au fond, si on réflé­chit, cela dit beau­coup plus sur ceux qui dési­gnent [notam­ment sur leurs inté­rêts poli­tiques, sociaux et écono­miques] que sur ceux qui sont désignés. » 

En reve­nant sur l’his­toire, Karen Akoka explique que la situa­tion des deman­deurs d’asile a toujours changé selon les époques. Dans les années 1980, 80% des demandes d’asiles étaient accep­tées alors que, dans les années 1990, le même pour­cen­tage corres­pond aux refus. En prenant l’exemple des Portu­gais consi­déré comme migrants écono­miques et des boat-people de la pénin­sule indo­chi­noise reconnus comme deman­deurs d’asile en France, elle poursuit :

« Le rapport à la caté­gorie [migrant ou réfugié] ne traduit pas la vérité d’une trajec­toire, d’une moti­va­tion, du sens d’un indi­vidu… mais quelque chose de très prag­ma­tique au fond. Et ce prag­ma­tisme était possible parce qu’on était dans une période ou les procé­dures d’asile et les procé­dures d’im­mi­gra­tion étaient ouvertes. Aujourd’hui, la spéci­fi­cité de notre période est qu’avec la ferme­ture des procé­dures de l’im­mi­gra­tion, on est tombé dans le para­digme du vrai ou du faux [migrant]. […] Donc cette caté­gorie du réfugié a été essentialisée. »

Karen Akoka explique ce chan­ge­ment dras­tique à travers trois idées reçues utili­sées comme facteurs d’ex­pli­ca­tion. Premiè­re­ment, le profil des deman­deurs d’asile aurait changé alors qu’en fait ce sont les exigences pour obtenir l’asile qui ont changé à partir des années 1990. Deuxiè­me­ment, les insti­tu­tions seraient subor­don­nées aux poli­tiques, alors qu’elles n’avaient pas plus d’in­dé­pen­dance aupa­ra­vant. Enfin, la conven­tion de Genève 1951 a été rédigée dans un contexte histo­rique spéci­fique qui ne corres­pon­drait plus aux réalités migra­toires actuelles, alors qu’il s’agit d’un texte large qui offre de nombreuses inter­pré­ta­tions en fonc­tion des exigences des pays d’accueil.

Écouter l’émis­sion en intégralité :