Appel flash ICM sur la question ukrainienne — LIMITE : 9 mai 2022

En un mois, environ 4 millions d’Ukrainien.ne.s ont quitté leur pays suite à l’agression russe du 24 février 2022, ce qui constitue un dépla­ce­ment de popu­la­tion sans précé­dent en Europe depuis la seconde guerre mondiale. Celui-ci amène à repenser les dyna­miques migra­toires, de refuge et de l’asile sur le terri­toire euro­péen, ainsi qu’à envi­sager la ques­tion des migra­tions ukrai­niennes dans une pers­pec­tive régio­nale et histo­rique plus large.

1/​Accueil, droit au séjour et mobilisations européennes

La mobi­li­sa­tion de l’Europe et de la France en faveur des personnes fuyant la guerre en Ukraine vient boule­verser la poli­tique de l’accueil. Elle rompt avec les pratiques en cours, au moins depuis 2015, tant sur les plans poli­tique, admi­nis­tratif, écono­mique, que social. Tout d’abord, cette mobi­li­sa­tion marque deux ruptures majeures, dans le temps et l’espace. Le droit au séjour des Ukrainien.ne.s en Europe a été admis une semaine après le début du conflit et cela par tous les pays membres de l’Union euro­péenne (UE). L’octroi de ce statut propose une aide sociale et finan­cière, le droit au séjour permet­tant la mobi­lité sur le conti­nent et l’autorisation de travailler. D’autre part, la crise ukrai­nienne suscite un effort finan­cier et une démons­tra­tion de soli­da­rité de la part des Européen.ne.s jamais égalée : ouver­ture massive de places d’hébergement d’urgence, propo­si­tions d’hébergements citoyens, etc.

Il serait inté­res­sant de ques­tionner les rouages de ces déci­sions et leur péri­mètre. Les mesures de protec­tion des Ukrainien.ne.s réfugié.e.s, par l’octroi de papiers, d’accès au soin et au travail, permettent de lever immé­dia­te­ment les obstacles majeurs qui empêchent habi­tuel­le­ment l’installation et l’insertion des étranger.e.s primo-arrivant.e.s en France. Le « trai­te­ment diffé­ren­tiel » qui carac­té­rise la poli­tique d’accueil, et en l’occurrence béné­ficie ici aux exilé.e.s ukrainien.ne.s, a été relevé par les médias et dénoncé par certaines asso­cia­tions. Des études compa­ra­tives avec les actions lors d’autres mouve­ments migra­toires (crise syrienne, crise afghane, etc.) permet­traient de faire ressortir l’impact social, épidé­mio­lo­gique et psycho­lo­gique, de ces mesures.

Par ailleurs, ce régime de protec­tion est mis en œuvre pour la première fois depuis sa créa­tion il y a plus de vingt ans, alors que les États euro­péens peinaient à définir un cadre d’action commun en matière d’immigration et d’asile. Ces mesures annoncent-elles les prémisses d’un nouveau pacte euro­péen sur les migra­tions ou rappellent-elles à l’inverse les moti­va­tions socio-cultu­relles de l’accueil, immé­diat lorsqu’il s’adresse à une popu­la­tion euro­péenne, blanche et chré­tienne, limité s’il s’adresse à des popu­la­tions musul­manes d’Afrique ou d’Asie ?

2/​Migrations ukrainiennes en Europe et au-delà

L’arrivée massive d’exilé.e.s ukrainien.ne.s en Europe néces­site de nouveaux éclai­rages sur les dyna­miques histo­riques et géogra­phiques des migra­tions, tout comme leurs carac­té­ris­tiques socio-démographiques.

S’agissant d’une migra­tion singu­lière, composée en grande majo­rité de femmes, d’enfants, de grands-parents, les carac­té­ris­tiques socio-démo­gra­phiques de cette popu­la­tion en termes d’âge, de genre, de géné­ra­tion doivent amener une réflexion – y compris en termes de poli­tiques publiques – sur les moda­lités de l’installation et de l’intégration au niveau local, les vulné­ra­bi­lités spéci­fiques, les besoins en termes d’emploi et d’accueil (ques­tion du soin et de l’éducation apportés aux enfants et adoles­cents et de l’aide apportée aux mères isolées et aux personnes bles­sées ou malades par exemple).

La rapi­dité avec laquelle les insti­tu­tions de l’asile, certaines collec­ti­vités locales, des citoyen.ne.s, se sont mobi­li­sées, et cela dans tous les domaines, héber­ge­ment, éducatif, offre médi­cale et psycho­lo­gique, avec pour objectif de prendre en charge immé­dia­te­ment et entiè­re­ment des popu­la­tions réfu­giées montre à la fois une capa­cité de réac­tion impor­tante et pose la ques­tion de la péren­ni­sa­tion. La poli­tique de l’accueil en France depuis 2015, traversée par d’autres élans et impé­ra­tifs de protec­tion par exemple lors de la crise sani­taire, capi­ta­lise-t-elle une certaine expé­rience ? Quels sont les enjeux de la péren­ni­sa­tion de l’insertion sociale et écono­mique des « réfugié.e.s » ukrainien.ne.s ? Quels sont les diffé­rentes propo­si­tions selon les territoires ?

D’autre part, cette migra­tion ukrai­nienne présente une histo­ri­cité : elle s’inscrit dans des réseaux migra­toires, des rela­tions sociales de longue date, des mémoires. Elle mobi­lise à la fois des liens exis­tant avant l’agression russe (par exemple des réseaux profes­sion­nels inter­na­tio­naux, tels que les cher­cheurs), des liens de proxi­mité (la proxi­mité Pologne-Ukraine), des liens diaspo­riques ( liens de ces nouveaux arri­vants avec les diasporas instal­lées en Pologne, en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Alle­magne etc.), et parfois même des liens linguis­tiques. Par exemple, on relève, parmi les arri­vées en France, la présence de nombreux fran­co­phones (étudiants d’Afrique fran­co­phone, Ukranien.ne.s fran­co­phones, couples mixtes compre­nant un.e fran­co­phone, etc.). Ces rela­tions sont à analyser, dans leur dimen­sion euro­péenne et au-delà (post­co­lo­niale, etc.).

Enfin rappe­lons qu’avant la guerre, la migra­tion ukrai­nienne n’était, loin de là, pas unique­ment dirigée vers l’Europe : la Fédé­ra­tion de Russie, le Kaza­khstan, les États-Unis figu­raient égale­ment parmi les premières desti­na­tions des migrant.e.s ukrainien.ne.s. On pourra ici analyser les nouveaux déploie­ments de ces diasporas qui inter­rogent plus large­ment, par exemple, les rela­tions russo-ukrainiennes.

3) Impact de la guerre en Ukraine et des réfugiés sur les diasporas post-soviétiques en Europe

L’accueil des réfu­giés ukrai­niens, objet d’un unani­misme poli­tique de l’UE jamais vu jusqu’ici, rend aussi visible, de manière rela­ti­ve­ment soudaine, les diasporas post-sovié­tiques en Europe, que celles-ci soient acquises à la cause de l’Ukraine (à travers des mouve­ments tels de Russie-Libertés en France) ou au contraire qu’elles prennent parti pour l’invasion russe du pays tel qu’on peut le constater (à travers, par exemple, la mani­fes­ta­tion auto­mo­bi­liste pro-russe sur le boule­vard péri­phé­rique de Berlin le 3 avril, ou la décla­ra­tion du Centre spiri­tuel et culturel ortho­doxe russe du quai Branly à Paris début mars). Ces mani­fes­ta­tions reflètent tout à la fois l’existence de diasporas dont l’existence a été soit sous-estimée, soit peu suivie dans ses évolu­tions. Dans quelle mesure ces diasporas peuvent-elles influer dans la posture des États et des opinions publiques ?

Au-delà, l’invasion par l’armée russe de l’Ukraine a suscité des mouve­ments de protes­ta­tion et de répres­sion qui ont entraîné des départs préci­pités, de Russie ou de Biélo­russie, venant grossir les rangs des « nouveaux dissi­dents » de pays assu­mant plei­ne­ment leurs pouvoirs dicta­to­riaux. Plusieurs milliers de Biélo­russes, plusieurs dizaines de milliers de Russes, jour­na­listes, membres d’ONG, scien­ti­fiques, ou simples oppo­sants de la guerre, actuel­le­ment menée contre l’Ukraine, se trouvent actuel­le­ment en exil. Que repré­sentent-ils, dans quelle mesure s’engagent-ils et peuvent-ils consti­tuer un vivier de recons­truc­tion démo­cra­tique de cet espace face à la destruc­tion à l’œuvre ?

Appel à projet et calendrier

Ces diffé­rents enjeux permettent d’envisager des enquêtes pluri-disci­pli­naires de la part de tous les dépar­te­ments de l’ICM, quan­ti­ta­tives et/​ou quali­ta­tives, pour réflé­chir à la spéci­fi­cité de cette « crise ukrai­nienne ». L’ICM encou­rage les projets à dimen­sion inter­na­tio­nale, propo­sant une dimen­sion compa­ra­tive ou trans­na­tio­nale, en lien avec des cher­cheurs situés à l’étranger. L’ICM encou­rage égale­ment les recherches en lien avec les acteurs asso­cia­tifs (enquêtes dans des centres d’accueil par exemple) ou les collec­ti­vités locales (enquête sur les mobi­li­sa­tions, etc.).

Cet appel flash vise à mobi­liser la commu­nauté scien­ti­fique d’ICM autour de travaux empi­riques ou de montage de projets euro­péens (orga­ni­sa­tion d’une réunion de travail et d’une journée d’étude à Paris, par exemple). Il vous est proposé de répondre sous la forme d’une note d’intention brève, portée par un ou plusieurs fellows ICM. La note comporte le déve­lop­pe­ment d’une problé­ma­tique, avec des hypo­thèses d’enquêtes et une métho­do­logie (parte­naires, calen­drier, budget estimé) à remettre d’ici au 9 mai prochain. Les projets présentés sont de 3 000 à 50 000 euros. Un processus de sélec­tion rapide permettra de faire un retour aux porteurs dans le courant du mois de mai.

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