Déclassement professionnel et fragilité des privilèges en migration

Pauline Vallot, sociologue

Les immigré·es diplômé·es du supérieur font souvent l’expérience d’un déclassement lors de leur arrivée en France. Cette mobilité sociale vers le bas se traduit par l’obtention d’un premier emploi dans une profession moins privilégiée que celle occupée avant la migration.  

Comment lire ce graphique ?

Le taux de déclas­se­ment (mobi­lité descen­dante) est calculé pour l’ensemble des immigré·es diplômé·es du supé­rieur, à l’exception de celles et ceux qui n’ont jamais occupé d’emploi avant la migra­tion ou qui n’en ont pas retrouvé après la migra­tion. Il corres­pond à la part de personnes dont le premier poste occupé en France est d’un statut infé­rieur à celui occupé dans le pays d’origine. Après avoir occupé un poste d’encadrement ou une profes­sion scien­ti­fique en amont de la migra­tion, les personnes dites « déclas­sées » se situent dans les profes­sions inter­mé­diaires ou travaillent comme employé·es, ouvriers et ouvrières, ou à leur compte dans l’artisanat et le petit commerce. Le taux d’ascension sociale corres­pond au cas inverse d’une mobi­lité profes­sion­nelle favo­rable suite à la migration.

D’après les données de l’enquête Trajec­toires et Origines, la migra­tion donne globa­le­ment lieu à un déclas­se­ment profes­sionnel chez les diplômé·es du supé­rieur qui s’installent en France. Ce phéno­mène se retrouve dans d’autres pays d’arrivée, comme l’Allemagne sur laquelle j’ai travaillé dans ma thèse. Il reflète les diffi­cultés à faire recon­naître les diplômes et l’expérience profes­sion­nelle acquises en amont de la migration.

Le risque de déclas­se­ment est plus fort pour les personnes nées au Maghreb, en Afrique subsa­ha­rienne et en Europe de l’Est. Cela s’explique d’abord par des méca­nismes d’exclusion juri­diques qui touchent en prio­rité ces caté­go­ries. L’accès à certaines profes­sions supé­rieures (notam­ment de la santé et de l’enseignement) est en effet soumis à des condi­tions de natio­na­lité à l’obtention d’un diplôme fran­çais ou de l’Union euro­péenne. Plus large­ment, les diplômes obtenus à l’étranger sont souvent moins bien reconnus en France, en raison d’inégalités entre systèmes éduca­tifs à l’échelle inter­na­tio­nale. Cela explique que les personnes formées dans des pays étran­gers d’Europe de l’Ouest soient rela­ti­ve­ment épar­gnées par ce déclas­se­ment. Enfin, une partie des diplômé·es du supé­rieur sont exposé·es à des discri­mi­na­tions liées à leur couleur de peau, leur patro­nyme ou leur accent. Ces méca­nismes d’exclusion plus infor­mels sont parti­cu­liè­re­ment visibles chez les personnes qui reprennent des études en France et obtiennent la natio­na­lité fran­çaise. Dans leur cas, les diffi­cultés ne peuvent être simple­ment impu­tées à des obstacles juridiques.

La mobi­lité sociale dans la migra­tion varie aussi selon le sexe. Les hommes sont davan­tage concernés par le déclas­se­ment profes­sionnel que les femmes, tandis que ces dernières connaissent plus souvent une ascen­sion – notam­ment lorsqu’elles sont origi­naires d’Europe de l’Ouest. Ce résultat doit être inter­prété avec précau­tion. D’abord, les femmes diplô­mées du supé­rieur sont moins nombreuses que leurs homo­logues mascu­lins à occuper une profes­sion supé­rieure dans leur pays d’origine. Partant de moins haut, elles risquent moins de vivre une dété­rio­ra­tion de leur posi­tion à l’arrivée. Ensuite, les femmes sortent plus souvent de l’emploi que les hommes après leur arrivée en France. En effet, celle qui migrent en couple hété­ro­sexuel inter­rompent fréquem­ment leur carrière à l’occasion de la migration.

Pour aller plus loin 
L’auteur

Pauline Vallot a réalité une thèse de socio­logie à l’Université Paris 1 et à l’Université de Göttingen en Alle­magne. Elle est agrégée prépa­ra­trice à l’ENS de Paris et docto­resse asso­ciée au Centre Euro­péen de Socio­logie et de Science Politique..

Citer cet article

Pauline Vallot, « Déclas­se­ment profes­sionnel et fragi­lité des privi­lèges en migra­tion », in : Eren Akin, Théo­time Chabre, Claire Cosquer, Saskia Cousin, Vincente Hugoo, Brenda Le Bigot et Pauline Vallot, Dossier « Migrer sans entraves », De facto [En ligne], 27 | Juillet 2021, mis en ligne le 13 juillet 2021. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2021/06/16/defacto-027–05/

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