Que font aux langues les espaces sociaux de la migration ? De quelles façons mettent-elles à l’épreuve les politiques migratoires ? Que deviennent les sujets et les langues sur le qui-vive, suspects comme l’est toute parole exilée face à la langue de souveraineté du pays d’arrivée ?Quelles sont les politiques de traduction, le rôle des « traduisants », bénévoles ou salariés impliqués dans l’acte de traduire sans en avoir ni le statut ni la légitimité ? L’expérience migratoire invente-t-elle des bricolages linguistiques spécifiques – un parler de la migration composé d’acronymes, de mots inventés, détournés ou codés, de schibboleths, utilisés par les exilés mais aussi, parfois, par les solidaires et les administrations de l’asile ? Et si c’est le cas, comment qualifier ce « migralecte », le collecter et l’analyser, restituer sa charge subjective, ses violences – coloniales, racialisées, policières –, et ses puissances – de dérision, de résistance, de subversion ? Ces questions ont mobilisé les chercheurs du programme multidisciplinaire LIMINAL (Linguistic and Intercultural Mediations in a context of International Migrations, Agence nationale de la recherche /Inalco) pendant quatre intenses années.
Pour présenter les résultats de LIMINAL et réfléchir aux enjeux du cosmolinguisme constitutif des situations de migration, le colloque s’articulera autour de plusieurs ateliers, nommés par
quelques-uns des plus de 400 mots du migralecte constitué : WELCOME, BORDER, VIOLENCE – en anglais et en français, mais utilisés ou compris dans bien d’autres langues ; TARJUMAN en farsi, TARJOMAN en pachto, DALMECHAR en ourdou – l’interprète au sens large ; SHIOU’IYIN, littéralement le « communiste » en arabe soudanais, terme désignant bénévoles et militants ; AGENT, en anglais, ourdou et persan, MUHARRIB en arabe ou SAMSSARI en tigrinya – le passeur, opposé au sens plus neutre du fonctionnaire de police ou de l’agent de sécurité en français ; MUHAJIR, l’exilé, le réfugié en arabe mais aussi en dari et pachto ; YUNAN – la Grèce, antique terme qui viendrait de Ionie ; YÔDEGÔRI en farsi « souvenir de », et enfin BOZA, migralecte aux sens multiples… Ces table rondes, avec des communications courtes et des coordonnateurs intervenants, regrouperont différents acteurs de la solidarité et de la recherche, du documentaire et de l’art, dans la droite ligne des
ateliers réflexifs du Briançonnais (14–16 mai 2021). Entre lingua franca et persona non grata, la Lingua (non) grata, intitulé du colloque comme de l’ouvrage collectif* à paraitre fin 2021, entend contribuer à « dé-provincialiser » – au sens de Dipesh Chakrabarty –, la xenobureaucratie et ainsi à penser les conditions politiques d’une hospibabélité.
Coordination scientifique & inscriptions :
Alexandra Galitzine-Loumpet & Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky
msaglio@inalco.fr – alexandra.galitzine-loumpet@inalco.fr