Danièle Lochak, membre et ancienne présidente du Gisti
En 1972, année où les circulaires Marcellin-Fontanet préfigurent la fermeture officielle des frontières à l’immigration de main‑d’œuvre, naît le Groupe d’Information et de Soutien des « Travailleurs Immigrés » (devenus simplement « Immigrés » en 1996). Souvent appelé par son acronyme, le Gisti a été mêlé à la plupart des combats des cinquante dernières années pour la reconnaissance et le respect des droits des étrangers en France. Ses nombreuses archives sont le témoin de son engagement.

Lutter pour les droits des résidents des foyers, la régularisation des sans-papiers, la carte de dix ans, l’égal accès à la protection sociale et aux emplois, le droit de vote, le droit de vivre en famille, la sauvegarde du droit d’asile… ; dénoncer l’enfermement et les expulsions, les contrôles au faciès, la gestion utilitariste des migrations opposant immigration subie et immigration choisie, la promotion de l’identité nationale et les attaques récurrentes contre le droit du sol ; combattre la politique européenne de fermeture des frontières et ses conséquences meurtrières ; et finalement défendre la liberté de circulation, dont le Gisti a inscrit le principe dans ses statuts en 2003 : tels sont les terrains sur lesquels le Gisti s’est engagé, avec ses modalités d’action propres, incluant pour une part importante le conseil juridique et l’activité contentieuse.
Les archives du Gisti sont le témoin de ces engagements. Elles constituent une source d’information sur la vie interne, les modes d’action et les combats d’une association de défense des immigré·e·s mais aussi sur l’histoire de l’immigration, des politiques migratoires et des mobilisations liées à l’immigration depuis 1972.
Ces archives seront transférées à La Contemporaine, après son installation dans ses nouveaux locaux programmée à la rentrée universitaire en 2021. Ce versement devrait être l’occasion de l’organisation d’un colloque au printemps 2022, qui coïncidera avec le cinquantième anniversaire de l’association.
Fragments du singulier, archive du collectif
Les archives papier, dites « historiques » parce qu’elles relatent l’histoire de l’association et des luttes sur l’immigration, couvrent pour l’essentiel la période qui va des débuts de l’association jusqu’à la fin des années 1990, les archives devenant alors massivement nativement numériques. On y trouve les premiers cahiers – manuscrits – de la permanence juridique, les comptes-rendus de réunions depuis l’origine, les documents d’assemblées générales, les dossiers relatifs aux recours portés par le Gisti ou aux grands combats qu’il a menés, le plus souvent avec d’autres partenaires associatifs ou syndicaux. Certains de ses membres y ont déposé des photographies, affiches, etc., dont une grande partie a été numérisée et mise en ligne par l’association Génériques.

Le fonds est actuellement classé en boîtes d’archives conservées dans les locaux du Gisti et occupent environ 40 mètres linéaires. Pour tous les documents produits et reçus par le Gisti, un tableau de gestion fixe le délai d’utilité des dossiers et leur sort final. Sont conservés définitivement tous les documents concernant la vie de l’association.
Les archives numériques, constituées à partir de la seconde moitié des années 1990, prolongent les précédentes. Elles sont conservées sur un serveur partagé, selon une arborescence réfléchie dès le départ permettant le pré-classement des dossiers appelés à devenir des archives.
Les archives de la permanence juridique, conservées depuis 1993, sont constituées par les dossiers individuels des personnes ayant consulté cette permanence, qui, depuis plusieurs années, se tient quasi-exclusivement par téléphone et par courrier. Ces 27 000 dossiers conditionnés dans des boîtes d’archives occupent environ 90 mètres linéaires et sont stockés dans les locaux du Gisti pour la période 2005 à nos jours et dans un local d’archivage distinct pour la période 1993–2004. Le fonds est classé et inventorié dans un fichier électronique nommé « Gististat » qui permet de sélectionner les dossiers en fonction de différents critères : nationalité, situation administrative, etc.
Les associations, une interface entre étrangers et administration
Signalons enfin que, dans la perspective du colloque qui marquera le versement des archives du Gisti à La Contemporaine, il est prévu de réaliser une campagne d’entretiens avec des membres ou d’anciens membre du Gisti. Cela permettra de constituer un fonds complémentaire d’archives audiovisuelles.

Ces fonds d’archives ont déjà été exploités par des chercheurs, telle Liora Israël pour ses travaux sur les origines du Gisti et plus largement sur les juristes engagés. Les dossiers de la permanence, quant à eux, ont par exemple été utilisés pour des recherches sur des questions de nationalité (naturalisation, retrait, déchéance…), tel le travail d’Émilien Fargue sur les « exclu·e·s de la naturalisation » en France et en Grande-Bretagne. Une exploitation systématique de ce fonds permettrait de savoir quelles sont les personnes qui s’adressent aux permanences associatives au fil des années, ce qu’elles en attendent, les réponses qui leur sont apportées, et finalement la façon dont les associations – en l’occurrence, ici, le Gisti – conçoivent leur rôle d’interface entre les étrangers et l’administration.
Conditions actuelles d’accès aux archives du Gisti
Les archives dites « historiques » sont pour l’instant consultables au Gisti sur rendez-vous, de même que les dossiers de la permanence postérieurs à 2005. Pour ceux de la période antérieure, il n’est matériellement pas possible de les mettre à disposition dans leur ensemble, mais l’on peut répondre à des demandes ciblées sur des thématiques grâce à l’outil Gististat accessible sur place.
Des autorisations d”’accès au serveur abritant les archives numériques sont possibles, qu’il s’agisse d’archives papier numérisées ou d’archives numériques natives ; ces autorisations sont ciblées en fonction des thématiques de recherche. S’agissant des dossiers de la permanence, qui ne sont pas anonymisés, l’accès est autorisé sur la base d’un protocole permettant de concilier les intérêts de la recherche et la protection des données personnelles.
Pour aller plus loin
- Pour une présentation du Gisti et de ses actions, on peut consulter son site : https://www.gisti.org/spip.php?page=sommaire
- Liora Israël, « Faire émerger le droit des étrangers en le contestant, l’histoire paradoxale des premières années du Gisti », Politix, n° 62, 2003, p. 115–143 ; « Deux parcours d’avocats », Plein droit, n° 53–54, 2002/2, p. 43–47.
- Emilien Fargues, Exclu·e·s de la naturalisation. Analyse des frontières de la « communauté nationale » en France et au Royaume-Uni, Thèse Sciences Po, décembre 2019.
- Philippe Artières a analysé les premiers cahiers – manuscrits – de la permanence juridique qui vont de décembre 1972 à octobre 1973 : « Fragments du singulier, archive du collectif », Plein droit, n°53–54, juin 2002.
- Une grande partie des photographies et des affiches du Gisti a été numérisée par Génériques sur le site http://odysseo.generiques.org.
L’auteure
Danièle Lochak est professeure émérite de droit public à l’université Paris-Nanterre et ancienne présidente du GISTI.
Citer cet article
Danièle Lochak, « Le Gisti : 50 ans de combats juridiques, 50 ans d’archives », in : Antonin Durand (dir.), Dossier « Aux sources de la migration », De facto, n°22, oct. 2020. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2020/10/08/defacto-022–03/
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