L’accueil de réfugiés « réinstallés » dans les communes rurales de Dordogne

Une enquête* de Catherine Guilyardi, journaliste, avec Bénédicte Michalon, géographe.

La campagne serait-elle le meilleur endroit pour accueillir les réfugiés les plus vulnérables ? Dans le cadre des « réinstallations » en France — par le HCR — de réfugiés venus de pays moins sûrs, des communes rurales se sont portées volontaires pour les accueillir. Récit en Dordogne où la volonté des bénévoles et des élus tente de compenser les manquements de l’État dans l’accompagnement de ces personnes fragilisées par les violences de la guerre ou de leur histoire migratoire.

Quand, à l’automne 2015, Pascal Bour­deau, maire d’une petite commune de Dordogne, entend l’appel de Bernard Caze­neuve aux édiles de France pour accueillir des réfu­giés (« votre mobi­li­sa­tion est déter­mi­nante », leur écrit-il), il n’hésite pas une seconde. La France vient de s’engager à rece­voir 22 000 réfu­giés « relo­ca­lisés » depuis les hots­pots de Grèce et d’Italie (dont elle n’accueillera fina­le­ment que 5 030 personnes). La photo d’Alan Kurdî, enfant syrien trouvé mort sur une plage, plane encore dans les esprits. La ville de Nontron, 3 500 habi­tants, ouvre donc ses portes à deux familles syriennes. Deux familles souda­naises et une autre centre-afri­caine les rejoin­dront deux ans plus tard. Elles sont arri­vées dans le cadre d’un programme d’évacuation d’urgence de Libye vers le Niger sous mandat du Haut-Commis­sa­riat des Nations-Unies pour les réfu­giés, le HCR (voir notre article à ce sujet).

« Je consi­dère que c’est un devoir d’accueillir ces gens, déclare le maire devenu égale­ment vice-président du conseil dépar­te­mental. Je suis issu d’une famille de résis­tants et Nontron a accueilli des Lorrains et des Alsa­ciens juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. La Dordogne est une terre d’asile : accueillir ces cinq familles allait de soi ». En 2015, Pascal Bour­deau contacte donc le préfet et prépare l’arrivée de la première famille syrienne avec son conseil muni­cipal. Les condi­tions sont réunies : les écoles sont mobi­li­sées, des navettes mises en place vers Péri­gueux et Angou­lême (pas Limoges, l’autre grande ville de la zone). Plusieurs asso­cia­tions se disent prêtes à accom­pa­gner ces nouveaux venus que la guerre et la vie dans les camps a « un peu cabossés physi­que­ment et menta­le­ment », constate le maire de Nontron.

Deux plaques évoquant les expulsés et réfu­giés de Lorraine et d’Alsace accueillis à Nontron pendant la deuxième guerre mondiale. © Béné­dicte Michalon 2019

Ces réfu­giés ont béné­ficié du programme de réins­tal­la­tion du HCR, qui existe depuis long­temps et indé­pen­dam­ment de l’épisode des hots­pots de la crise de l’accueil en Europe. La France n’avait jusqu’alors pas parti­cipé à ce programme qui permet de réins­taller dans des pays sûrs des réfu­giés présents dans les camps de l’organisation huma­ni­taire. C’est le cas au Liban, en Turquie, en Guinée, au Tchad ou encore au Niger. Cette réins­tal­la­tion s’exerce selon le critère huma­ni­taire de la plus grande vulnérabilité.

En France, l’accueil des réfugiés passe par les territoires

L’État fran­çais, qui pour la première fois a accepté de parti­ciper à un programme de réins­tal­la­tion, délègue l’accueil de ces familles et personnes réfu­giées à des asso­cia­tions natio­nales ou locales. En octobre 2017, la France annon­çait l’ac­cueil de 10 000 réfu­giés d’ici octobre 2019, dont 3 000 venant du Tchad et du Niger, dans le cadre des programmes de réins­tal­la­tion de migrants. Ce chiffre n’est pas encore atteint 1, mais la Délé­ga­tion inter­mi­nis­té­rielle à l’hébergement et à l’accès au loge­ment (Dihal) a mandaté pas moins de 24 opéra­teurs pour accom­pa­gner ces réfu­giés parti­cu­liè­re­ment vulné­rables sur l’ensemble du territoire.

À Péri­gueux, en Dordogne, l’association Aurore s’est occupée des Syriens, tandis que France terre d’asile (FTdA) a pris en charge les Subsa­ha­riens évacués de Libye via le Niger. Accueillis dans un premier temps dans la Cité de Clair­vivre, un impor­tant établis­se­ment public médico-social à Sala­gnac, ils ont été relogés ensuite dans les communes du dépar­te­ment qui se portaient volontaires.

Une réfu­giée soma­lienne évacuée de Libye avec son mari et leur bébé, né en Dordogne, où ils sont désor­mais installés. © Cathe­rine Guilyardi 2019

Pour Claire Cour­te­cuisse, histo­rienne du droit à l’Université Grenoble-Alpes, la volonté poli­tique d’installer les migrants à la campagne remonte à la fin du XIXe siècle, quand se conso­lide l’idée d’une commu­nauté natio­nale soucieuse d’identifier les étran­gers sans les mêler au reste de la popu­la­tion. « On pense alors que le migrant étranger s’installera de façon durable dans des campagnes, vidées par les Fran­çais, grâce aux valeurs atta­chées à la terre, gage de stabi­lité et d’ancrage ». Les forts besoins en main‑d’œuvre, notam­ment saison­nière, permettent au secteur agri­cole de déroger aux lois qui protègent la main‑d’œuvre natio­nale, comme celle du 10 août 1932 qui ne s’ap­pli­quera pas au secteur primaire.

Sur les natu­ra­li­sa­tions, là encore, les zones rurales font excep­tion. À la Libé­ra­tion, instruc­tion est donnée par le général de Gaulle à son ministre de la Justice de « limiter stric­te­ment les natu­ra­li­sa­tions dans les villes, notam­ment à Paris, Marseille, Lyon, où l’afflux des étran­gers n’est pas dési­rable », quitte à les favo­riser en milieu rural. L’idée d’une répar­ti­tion équi­table des étran­gers accueillis sur le terri­toire fran­çais a ressurgi avec la loi Asile et Immi­gra­tion du 10 septembre 2018, qui confie à chaque préfet de région un schéma régional d’ac­cueil des deman­deurs d’asile et des réfu­giés (SRADAR) en lien avec le schéma national.

Post de France terre d’asile sur l’arrivée de réfu­giés du Sahel à la Cité de Clair­vivre en Dordogne en février 2018. © Twitter

« Avec la poli­tique de répar­ti­tion terri­to­riale, la ques­tion de l’accueil par les petites villes et les villages se pose de plus en plus », affir­mait Matthieu Tardis, cher­cheur à l’Ifri, devant les maires de France invités à l’atelier de la Dihal sur le « Relo­ge­ment des réfu­giés : un enjeu pour la cohé­sion des terri­toires ». Selon le cher­cheur, les terri­toires ruraux sont une « terre d’asile (…), le citoyen [étant] l’accélérateur de l’intégration des réfu­giés. À la fois parce qu’il les aide à s’approprier la langue, et parce qu’il peut être facteur d’insertion profes­sion­nelle ».Avec sa « Stra­tégie natio­nale pour l’accueil et l’intégration des personnes réfu­giées », lancée en juin 2018, l’État en appelle — à nouveau — aux maires pour reloger dura­ble­ment les réins­tallés, réfu­giés ou deman­deurs d’asile présents dans les Cada (Centres d’Accueil des deman­deurs d’asile) ou CAO (Centres d’accueil et d’orientation).

Les premiers CAO, ouverts à la hâte à l’automne 2015 pour « mettre à l’abri » les occu­pants de la lande de Calais (appelée « la jungle ») et de la place Stalin­grad à Paris, n’ont pas toujours été bien accueillis par les popu­la­tions, se souvient Olivier Clochard, direc­teur de Migrinter. Installé à Poitiers, ce labo­ra­toire héberge le programme de recherche « Campagnes fran­çaises dans la dyna­mique des migra­tions inter­na­tio­nales ». Camigri réunit une dizaine de géographes sur trois terrains en Aqui­taine (Péri­gord vert, Vienne et Pyré­nées arié­geoises) et s’intéresse à l’installation de nouveaux habi­tants dans les campagnes, qu’ils soient réfu­giés, deman­deurs d’asile, néo-ruraux ou agri­cul­teurs. Pendant 5 ans (2016–2021), les cher­cheurs obser­ve­ront les chan­ge­ments que ces arri­vées provoquent en termes démo­gra­phiques, écono­miques et poli­tiques dans ces lieux peu peuplés.

Docu­ments admi­nis­tra­tifs et carnet de notes de la cher­cheuse venue rencon­trer un couple de réfu­giés évacués de Libye et ‘réins­tallés’ en Dordogne. © Béné­dicte Michalon 2019

« La mise en place de dispo­si­tifs établis sans concer­ta­tion inquiète les acteurs, explique Olivier Clochard, on doit entendre ces mécon­ten­te­ments, voire comprendre les raisons qui conduisent les personnes à ces réti­cences. » Le cher­cheur retient aussi l’expérience posi­tive des tables rondes menées dans les communes rurales des Deux-Sèvres : « Ces rencontres permettent de saisir une multi­tude d’initiatives. Écou­tant les prota­go­nistes, effec­tuant des enquêtes (…), j’observe que les poli­tiques migra­toires ne se font plus unique­ment dans les minis­tères ou les préfec­tures aujourd’hui ; elles se construisent égale­ment dans les campagnes avec ces diverses mobi­li­sa­tions. »

Le rôle important des bénévoles

Les béné­voles jouent un rôle central dans l’accueil des réfu­giés en zone rurale. À Nontron, Brigitte, l’ancienne direc­trice d’école, était à la retraite l’année de l’arrivée de la première famille syrienne. « Je suis entrée en lien avec l’association pres­ta­taire. On devait rencon­trer la famille ensemble, mais la personne de l’association m’a fait faux bond ; alors, je me suis débrouillée, et c’est ce que je fais depuis ! » Brigitte met en place un accom­pa­gne­ment scolaire. Avec les nouvelles arri­vées, elle mobi­lise son frère, Chris­tophe, égale­ment à la retraite, puis la femme de Chris­tophe, Marie-Noëlle, retraitée du conseil dépar­te­mental, qui garde les petits quand les parents suivent des cours de fran­çais deux fois par semaine.

Ces réfu­giés parti­cu­liè­re­ment vulné­rables ont besoin de soins médi­caux. Les rendez-vous se multi­plient, parti­cu­liè­re­ment pour la famille souda­naise arrivée avec une petite fille handi­capée qui demande beau­coup de soins et de dépla­ce­ments. « J’ai fini par lancer un appel par le Collectif de tran­si­tion citoyenne en Péri­gord vert (Gco) qui fonc­tionne par email, raconte Brigitte. Nous sommes aujourd’hui une tren­taine de béné­voles, dont quinze très actifs, et ça marche plutôt pas mal. »

Brigitte et Marie-Noëlle, béné­voles auprès des réfu­giés, devant une plaque commé­mo­ra­tive à la mairie de Nontron. © Béné­dicte Michalon 2019

L’installation de ces familles nombreuses béné­ficie aussi aux communes. « Nos cinq familles de réfu­giés nous ont apporté 20 enfants et ont sauvé nos écoles », se réjouit Erwan Carabin, l’adjoint au maire de Nontron. « Les plus jeunes ont appris le fran­çais en un temps éclair. Pour les adultes, c’est plus compliqué. » Pour raconter son histoire, Issam 2 et sa femme, des Syriens arrivés en 2018 d’un camp du HCR au Liban, demandent à leur fils Mansour, 16 ans, de traduire leurs propos.

Issam a reçu un éclat d’obus au pied et attend la recon­nais­sance de son handicap par la Maison dépar­te­men­tale des personnes handi­ca­pées (MDPH) pour pouvoir trouver un travail adapté. Il ne peut pas se déplacer à Péri­gueux pour suivre les cours de fran­çais langue étran­gère proposés par le Greta. L’association mandatée loca­le­ment par l’État pour la prise en charge des « réins­tallés » a achevé son mandat après un an pour des raisons budgé­taires (c’est la norme). Les cours, et tout le reste, se sont arrêtés du jour au lende­main. « Ils devaient aller deux fois par semaine à Péri­gueux, explique Brigitte, c’était impos­sible pour lui, alors nous avons mis en place un cours loca­le­ment, d’abord financé par une asso­cia­tion péri­gour­dine puis, quand ça s’est arrêté, grâce à une béné­vole… jusqu’à ce qu’elle trouve du travail ! » Aujourd’hui, il n’y a plus d’enseignement du fran­çais pour les réfu­giés à Nontron.

La maîtrise du fran­çais est pour­tant une des prio­rités des dispo­si­tifs mis en place par les asso­cia­tions pres­ta­taires de l’État. France terre d’asile finance égale­ment 200 heures de cours de fran­çais pendant sa prise en charge. Lorsque le mandat prend fin pour des raisons budgé­taires, les communes doivent prendre le relais. Ce n’est pas toujours possible dans une petite ville comme Nontron.

Erwan Carabin, adjoint au maire de Nontron, devant la mairie. © Cathe­rine Guilyardi 2019

Dans son HLM, bercé par le chant des canaris en cage, Issam sort son télé­phone pour lancer l’application qui lui permet de commu­ni­quer en fran­çais grâce à une traduc­tion immé­diate à l’écrit et à l’oral. Le résultat est plutôt satis­fai­sant, mais ne convient pas à toutes les situa­tions. Pendant les rendez-vous médi­caux, les réfu­giés de Nontron peuvent appeler une asso­cia­tion d’interprètes à Paris, à laquelle la mairie sous­crit par tranches de 15 minutes. « On a bien un habi­tant qui parle arabe et accepte de venir quand on l’appelle, explique Erwan Carabin, mais on ne peut pas le solli­citer tout le temps. Il faut aussi savoir ménager nos béné­voles ! »

« On ne peut pas s’habituer
à une souffrance, physique
ou mentale comme ça,
surtout quand on ne peut rien faire
pour la soulager. » 

Marie-Noëlle, béné­vole

Entre les cours de soutien scolaire, deux fois par semaine, et l’accompagnement aux rendez-vous médi­caux ou admi­nis­tra­tifs dans les grandes villes avoi­si­nantes, Brigitte trouve le temps de monter le dossier MDPH de la petite Souda­naise de 8 ans, lour­de­ment handi­capée, afin qu’elle soit scola­risée avec des horaires aménagés. Elle a aussi repris le dossier d’Issam, ouvert par l’association pres­ta­taire qui a dû renoncer à accom­pa­gner cette famille depuis que sa sala­riée est en congé de longue durée. Les béné­voles ne reçoivent aucune forma­tion et apprennent « sur le tas ». En mai dernier, Brigitte craque ; elle doit s’arrêter quelque temps. « L’histoire de ces gens est doulou­reuse, explique Marie-Noëlle, sa belle-sœur. Lorsque nous les accom­pa­gnons aux rendez-vous médi­caux, nous entrons dans leur inti­mité. On ne peut pas s’habituer à une souf­france, physique ou mentale comme ça, surtout quand on ne peut rien faire pour la soulager. »

La déci­sion de l’État de placer ces réfu­giés parti­cu­liè­re­ment vulné­rables dans des zones qui souffrent de déser­ti­fi­ca­tion médi­cale surprend. « Nous avons eu un problème à propos d’une famille qui avait une urgence, se souvient Pascal Bour­deau. Un médecin de Nontron a refusé de les prendre, même entre deux rendez-vous, alors qu’ils ne pouvaient pas se déplacer. Nous avons réglé le problème grâce aux béné­voles et je n’ai pas voulu polé­mi­quer avec lui. La préca­rité de la méde­cine en milieu rural est une réalité et sa présence est une aubaine pour l’ensemble de notre commu­nauté. »

« On a des gens en diffi­culté dans notre propre popu­la­tion, ajoute Erwan Carabin, on ne peut pas créer de fossé entre les migrants et les autres. Il faut que l’action de la mairie soit pareille pour tous. »

Les limites de l’installation en milieu rural

La Dihal a évalué les relo­ge­ments pour la première fois en avril 2018 à l’échelle des villes et villages de moins de 5 000 habi­tants. Ils sont opérés depuis 2015 pour « soulager l’effort de certains terri­toires par la mobi­li­sa­tion de loge­ments vacants dans des terri­toires moins tendus ». 6 % des relo­ge­ments de familles ou d’individus réfu­giés ont eu lieu dans ces communes.

DIHAL 2. Fiche évalua­tion – Le relo­ge­ment des réfu­giés dans les terri­toires ruraux

« Les réfugiés relogés en mobi­lité géographique dans les terri­toires ruraux »,
Les évaluations de la DIHAL, avril 2018.

Dans son évalua­tion, le Pôle Migrants de la Dihal fait plusieurs recom­man­da­tions : ne pas envoyer à la campagne « les personnes néces­si­tant un suivi médical régu­lier ou présen­tant des fragi­lités psycho­lo­giques » ; s’assurer du consen­te­ment des réfu­giés pour une instal­la­tion en milieu rural ; véri­fier qu’ils ont les moyens de commu­ni­quer et se déplacer par eux-mêmes pour prendre rapi­de­ment un emploi dans les filières qui recrutent. Et la Dihal de conclure à la néces­sité d’un suivi régu­lier pour « assurer les besoins à court terme des réfu­giés relogés dans les terri­toires ruraux ». Cepen­dant, une fois relogés, les réfu­giés ont d’autres besoins, notam­ment l’aide à l’emploi qui n’est pas prévue dans la mission des asso­cia­tions prestataires.

L’assistante sociale du dépar­te­ment, qui prend le relais quand l’accompagnement spéci­fique d’un an arrive à son terme, peut inter­venir comme elle le fait pour tout autre public « fragile ». En Dordogne, il y a besoin de main‑d’œuvre, notam­ment dans l’agriculture. Les deux pères souda­nais de Nontron qui souhai­taient travailler se sont vus proposer un travail à 40 kilo­mètres. Faute de voiture, ils ont dû décliner.

« Que faire sans capacité à être mobile
et tant que les gens ne maîtrisent pas la langue ? » 

Pascal Bour­deau, maire de Nontron en Dordogne

« On a besoin de gens pour ramasser les pommes, confirme Pascal Bour­deau, et l’économie de Nontron est floris­sante, notam­ment dans le luxe avec l’usine Hermès et le sellier CWD de l’équipe de France d’équitation. Certaines entre­prises me disent qu’elles manquent de bras, mais que faire sans capa­cité à être mobile et tant que les gens ne maîtrisent pas la langue ? » Les réfu­giés vivent pour l’instant du RSA, des aides de la Caf et de la soli­da­rité du voisi­nage. « On ne peut pas dire que rien n’a été fait par l’État, recon­naît le maire de Nontron. Un comité de pilo­tage a été mis en place pendant un an et demi par la préfec­ture avec les asso­cia­tions pres­ta­taires et les assis­tantes sociales du dépar­te­ment, mais le dispo­sitif spéci­fique s’éteint parfois trop tôt. Il faudrait pouvoir le prolonger pour des cas diffi­ciles. »

L’intervenante sociale qui suit Aman, un jeune Érythréen désor­mais installé dans la banlieue de Péri­gueux (après plusieurs mois à la Cité de Clair­vivre), sait qu’il aurait besoin d’être accom­pagné plus long­temps. Il attend toujours le début d’une forma­tion d’électricien mais, comme les autres réfu­giés suivis par les asso­cia­tions pres­ta­taires, sa maîtrise du fran­çais est très faible, insuf­fi­sante pour qu’il soit auto­nome après un an de prise en charge.

Liliane Gonthier, maire de la commune délé­guée de Boulazac, dans la banlieue de Péri­gueux. © Cathe­rine Guilyardi 2019

« Tout cet accom­pa­gne­ment n’est pas assez struc­turé pour permettre aux réfu­giés de s’intégrer », s’emporte Liliane Gonthier, maire de Boulazac, dont la commune a aussi dû accueillir des deman­deurs d’asile dans un hôtel proche de la mairie. « Si on veut être une terre d’accueil, il faut une volonté poli­tique. Quand on voit les deman­deurs d’asile entassés dans le Formule 1, sans cuisine ou même frigo, ce n’est pas un accueil digne. On sait que, dans certaines communes, les migrants sont repartis vers les grandes villes, peut-être vers la jungle de Calais. Ce n’est pas une poli­tique aboutie et ça manque d’humanité ! » « J’aurais pu conti­nuer à accueillir des personnes », se désole Pascal Bour­deau qui ne souhaite pas rece­voir plus de 5 familles dans sa commune, pour­tant convaincu que « l’intégration est plus facile dans les campagnes et que les mélanges sont une richesse ». Mais il n’y a aucune coor­di­na­tion entre les diffé­rents acteurs insti­tu­tion­nels et peu ou pas de suivi. « Quand on arrive au bout du dispo­sitif prévu par les asso­cia­tions pres­ta­taires, on nous laisse tomber ! »

Certaines familles dési­rent déjà rejoindre les grandes villes où elles ont des proches. Si Issam, enfant de paysans en Syrie, a choisi la campagne quand le HCR au Liban lui a demandé de choisir, Aman, évacué de Libye via un camp du HCR au Niger, ne savait pas où il arri­ve­rait en France quand l’intervenante sociale de FTdA l’a accueilli à Bordeaux.

« Les territoires ruraux peuvent être des laboratoires de dispositifs innovants en matière d’accueil. »

Olivier Clochard, direc­teur de Migrinter

Comment relever les défis d’une instal­la­tion dans des petites communes, volon­taires mais impuis­santes à retenir ces familles et surtout ces hommes en âge de travailler ?

« Si les lois sont faites prin­ci­pa­le­ment par des séden­taires, et des séden­taires qui ne connaissent pas toujours les spéci­fi­cités de ces terri­toires ruraux, regrette Olivier Clochard, il me semble impor­tant de s’intéresser aux ques­tions poli­tiques rela­tives à la circu­la­tion, voire à l’accueil des personnes dans ces communes rurales — quel que soit le niveau : insti­tu­tionnel, asso­ciatif voire informel — car dans certains cas, elles peuvent être vues à bien des égards comme des labo­ra­toires de dispo­si­tifs inno­vants, rompant avec cette petite musique lanci­nante des discours présen­tant géné­ra­le­ment l’immigration comme un problème... »

* Ce repor­tage fait partie d’une série de deux articles rédigés pour De facto. Vous pouvez aussi écouter le repor­tage de Cathe­rine Guilyardi, « Réfu­giés : du Niger à la Dordogne », et l’entretien de Fran­çois Héran, direc­teur de l’Institut Conver­gences Migra­tions, dans l’émis­sion Grand Repor­tage de France Culture du 30 août 2019.

1 Dernière minute. Le 13 août 2019, alors que le présent article était bouclé, la Direc­tion géné­rale des étran­gers a publié sur son site le nombre de réfu­giés syriens et subsa­ha­riens accueillis en France au titre du programme de réins­tal­la­tion : 8 394 personnes, soit un chiffre proche des 10 000 réins­tal­la­tions que le président Macron avait annon­cées au HCR en octobre 2017 pour la fin de l’année 2019. Le commu­niqué mentionne le programme d’éva­cua­tion d’ur­gence des réfu­giés de Libye vers le Niger financé par l’Union euro­péenne, sans préciser la part qu’il repré­sente sur les 8 394 personnes réins­tal­lées en France.

2 Les prénoms des réfu­giés ont été modifiés.

Pour aller plus loin
L’auteure

Cathe­rine Guilyardi est jour­na­liste pour la BBC et Radio France, rédac­trice en chef de De facto. Elle s’est rendue en Dordogne en juin 2019.

Avec la contribution de :
  • Béné­dicte Michalon, géographe, est membre du projet Camigri « Les campagnes fran­çaises dans la dyna­mique des migra­tions inter­na­tio­nales » (2016–2021) coor­donné par le labo­ra­toire Migrinter.
  • Olivier Clochard, géographe, est direc­teur de Migrinter (Univer­sité de Poitiers/​CNRS) et membre du réseau euro-afri­cain Migreurop. Il est égale­ment fellow de l’Institut Conver­gences Migrations.
  • Claire Cour­te­cuisse, maître de confé­rences-HDR en histoire du droit à la Faculté de droit de Grenoble, Centre de Recherches Juri­diques (CRJ EA 1965), Univer­sité Grenoble Alpes.
Pour citer cet article

Cathe­rine Guilyardi, « L’accueil de réfu­giés « réins­tallés » dans les communes rurales fran­çaises », Dossier « Réfu­giés : du Niger à la Dordogne », De facto [En ligne], 10–11 | été 2019, mis en ligne le 30 août 2019. URL : https://​www​.icmi​gra​tions​.cnrs​.fr/​2​0​1​9​/​0​8​/​0​7​/​d​e​f​a​c​t​o​-​e​te-11/

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