Cris Beauchemin, démographe
Une surestimation généralisée de la population d’origine étrangère
« Sur 100 personnes vivant en France, combien à votre avis sont nées hors de France ? ». La même question a été posée en 2014 aux répondants de l’Enquête sociale européenne (ESS) dans 20 pays d’Europe à propos de leur propre pays.
Le graphique compare la moyenne des réponses données et le pourcentage observé de la population née à l’étranger, tel que mesuré dans les sources statistiques nationales (recensements ou registres de population) et rapporté par Eurostat, le bureau statistique de l’Union européenne.
La tendance générale est à l’exagération : dans tous les pays, sans exception, la présence immigrée est surestimée. En France par exemple, alors que les données du recensement indiquent que les personnes nées à l’étranger représentent 12% de la population, les enquêtés évaluent cette proportion à 27%. L’exagération est à son comble en Pologne, où la population immigrée est perçue comme étant près de cinq fois supérieure à la mesure officielle. A contrario, avec une exagération de moins de 20%, la Suisse est le pays où l’estimation est la plus juste.
Comment expliquer ces écarts ?
Une étude réalisée sur les données de l’ESS de 2002–2003 montrait déjà une telle exagération, que les auteurs ont cherché à expliquer (Sides et Citrin 2007). Les personnes qui vivent au plus près des immigrés, par exemple celles qui déclarent avoir des amis nés à l’étranger, ont tendance à surestimer la présence immigrée. C’est également le cas des personnes économiquement vulnérables, celles qui craignent le plus la concurrence des immigrés sur le marché du travail. Surtout, Sides et Citrin ont montré que la perception erronée des niveaux d’immigration est très fortement corrélée aux opinions anti-immigrés. Dans une série de modèles statistiques étudiant les facteurs associés à ces opinions, ils ont même montré que les perceptions ont un rôle explicatif plus puissant que les niveaux réels de présence immigrée. Cette déconnexion entre opinion et réalité sociale appelle au renforcement dans les débats publics d’une pédagogie des migrations, fondée sur des mesures bien comprises.
Les sources
Les données du graphique sont extraites de deux sources. La proportion observée des personnes nées à l’étranger est issue des données compilées par Eurostat (données mises à jour le 27 février 2019). La proportion estimée des personnes nées à l’étranger a été calculée par l’auteur à partir des micro-données du module immigration de l’Enquête sociale européenne de 2014 (résultats pondérés). L’ESS est produite par un consortium européen de centres de recherche, financé par la Commission européenne et la Fondation européenne pour de la science. Dans chaque pays, l’enquête couvre un échantillon représentatif de la population âgée d’au moins 15 ans. Les détails de la méthodologie d’enquête et les données sont accessibles en ligne.
Pour aller plus
Sides, John & Jack Citrin, « European Opinion About Immigration : The Role of Identities, Interests and Information », British Journal of Political Science, vol. 3, n°3, 2007, p. 477–504. doi:10.1017/S0007123407000257.
L’auteur
Cris Beauchemin est directeur de recherche à l’Ined.
Pour citer cet article
Cris Beauchemin, « La perception du nombre d’immigrés : entre fantasme et réalité », Dossier “Sonder et comprendre les opinions sur les immigrés et les minorités”, De facto [En ligne], 7 | mai 2019, mis en ligne le 15 mai 2019. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2019/05/15/defacto‑7–004/
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