Bisharah and Anwar’s Tree de Ron Amir, Israël, 2015

Perin Emel Yavuz, historienne de l’art 

Ron Amir, Bisharah and Anwar’s Tree (L’arbre de Bisharah et Anwar), 2015, photographie © Ron Amir

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Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris présente l’exposition de Ron Amir, Quelque part dans le désert, une série de photographies et de vidéos montrant la vie quotidienne de demandeurs d’asile du centre de Holot, en Israël. Sur cette photo, comme le reste de la série, l’artiste questionne la représentation de la condition du migrant.

Planté dans la terre pous­sié­reuse d’un paysage déser­tique, un arbre se détache. Son lourd feuillage retombe sur son frêle tronc auquel ont été soigneu­se­ment harna­chés des objets. On devine des couver­tures, un tapis, des épis de maïs, un coussin et un sac en plas­tique. Un cercle de bouteilles en plas­tique, enfouies dans le sol, orne le pied de l’arbre comme pour protéger et déli­miter cet espace devenu privé. Le cadrage resserré souligne l’intimité du lieu. Cette image fron­tale, qui montre les traces d’une vie en suspens, produit l’effet d’un constat, brut, objectif et précis. Seul le titre, Bisharah and Anwar’sTree (l’arbre de Bisharah et Anwar) confère une iden­tité à ceux dont cet arbre semble être le foyer.

Pour connaître leur histoire, il faut s’intéresser à l’auteur de la photo­gra­phie, Ron Amir, dont la démarche artis­tique est celle d’un passeur d’expériences. Dans la tradi­tion de la photo­gra­phie huma­niste, cet artiste s’intéresse à des commu­nautés en marge auprès desquelles il s’implique person­nel­le­ment. Durant plusieurs mois, voire plusieurs années, il effectue des visites d’observation, sans maté­riel, pour tisser des liens avec les membres de ces commu­nautés. Les prises de vue viennent ensuite pour resti­tuer ce qu’il a observé, mais, in fine, seuls ses légendes et son récit permettent de resti­tuer leurs histoires.

Bisharah and Anwar’sTree fait partie du projet que Ron Amir a mené au centre de réten­tion de Holot, entre 2014 et 2016, et qui a abouti à une série d’une quaran­taine de photo­gra­phies. Ce centre d’hé­ber­ge­ment avec obli­ga­tion de pointer le soir et le matin, situé dans le désert de Néguev près de la fron­tière égyp­tienne, a été ouvert de 2013 à 2018 par le gouver­ne­ment israé­lien pour réduire la concen­tra­tion de deman­deurs d’asile dans les villes. Amir s’intéresse aux condi­tions de vie de ces hommes, Souda­nais et Érythréens, installés au milieu de nulle part, qui n’ont pas le droit de travailler mais sont auto­risés à sortir pendant la journée avant de réin­té­grer le centre le soir.

Loin des images iconiques sur les migrants,
pétries d’émotion pour provo­quer terreur ou pitié,
Ron Amir adopte une posi­tion distan­ciée, néan­moins empa­thique, sur la réalité de leurs vies.

L’artiste a choisi de ne montrer ni le centre ni les réfu­giés, comme en témoigne cette photo. Bisharah and Anwar’sTree montre les traces de la vie au dehors, un espace à soi, inter­mit­tent, qui se déploie le jour à l’ombre du feuillage et se replie le soir pour protéger ses quelques biens du vent et de l’humidité. C’est un espace où se construit la vie. Le tuyau, présent au milieu des bouteilles, est issu d’un système d’irrigation dont Anwar a négocié l’usage avec le proprié­taire du champ pour faire pousser quelques légumes et préparer à manger. Les deux hommes ont créé un lieu de vie autour d’un arbre dont l’es­pèce – ironie – fait l’objet d’une campagne d’arrachage car jugée enva­his­sante par les spécia­listes de l’environnement.

Loin des images iconiques sur les migrants, pétries d’émotion pour provo­quer terreur ou pitié, Ron Amir adopte une posi­tion distan­ciée, néan­moins empa­thique, sur la réalité de leurs vies. A l’opposé du chas­seur d’images, le photo­graphe construit son regard à partir du lien qu’il a créé avec ceux dont il raconte l’histoire. Il montre ici le para­doxe de la condi­tion migra­toire, entre contraintes – dans l’attente forcée dans des non-lieux admi­nis­tra­tifs – et créa­ti­vité par cette capa­cité à recréer un espace social et poli­tique au milieu de nulle part et avec si peu.


Infos pratiques

Ron Amir, Quelque part dans le désert
Du 14 septembre au 02 décembre 2018
Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 12–14 avenue de New York 75116 Paris
Site internet : http://​www​.mam​.paris​.fr/​f​r​/​e​x​p​o​s​i​t​i​o​n​s​/​e​x​p​o​s​i​t​i​o​n​-​r​o​n-amir

Auteur

Perin Emel Yavuz est chargée de l’ani­ma­tion scien­ti­fique de l’Ins­titut Conver­gences Migra­tions et coor­di­na­trice de De facto.

Pour citer cet article

Perin Emel Yavuz, « Bisharah and Anwar’s Tree de Ron Amir, Israël, 2015 », De facto [En ligne], 1 | novembre 2018, mis en ligne le 14 novembre 2018. URL : https://​www​.icmi​gra​tions​.cnrs​.fr/​2​0​1​8​/​1​0​/​0​2​/0004/

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