Working Papers

L’accueil des migrants subsahariens à Tiznit : géographie et éthique de la ville-refuge
Cet article ambitionne de démontrer la puissance heuristique du concept de « forces imaginantes du droit » appliqué au champ de la géographie des mobilités et des migrations. Ce concept est porteur, selon nous, d’une vision renouvelée de la gouvernance locale des migrations qui gagne à caractériser les pratiques locales d’accueil observables dans des villes du Sud. Notre réflexion se situe à l’échelle de la ville de Taza (nord-est du Maroc) réceptrice de populations migrantes subsahariennes dispersées par les autorités marocaines depuis 2015. S’appuyant sur une étude empirique entreprise en 2017–2020, nous examinons les déclinaisons urbaines des solidarités locales et les formes hétéroclites des droits incarnés produits par les forces imaginantes du droit. Par l’observation et l’examen de l’association ASAM à Taza, nous rendons compte du potentiel créatif et résiliant de la ville face aux migrations comme réponse à la vulnérabilité des migrants en faisant valoir leur droit à la ville. En contrepoint aux injonctions sécuritaires, l’ASAM innove dans l’accueil et constitue une alternative sociale et politique contribuant à instituer une plus grande reconnaissance socio-juridique de populations migrantes. Cet article invite à penser la dialectique de cette force qui structure un imaginaire de la ville dans un contexte de contrainte où la pratique du droit devient un instrument de résistance et de régulation en transformant des tensions en interactions. La force imaginante du droit local donne à lire la complexité du potentiel urbain comme processus humanisant les rapports aux lieux et aux individus qui se jouent à l’échelon local révélant ainsi l’émergence de villes adoptant une posture « accueillante » et agissant comme villes-refuge qui résistent à la politique de dispersion.
Abstract
This article aims to demonstrate the heuristic power of the concept of ‘imaginative forces of law’ applied to the field of the geography of mobility and migration. This concept is, in our point of view, the bearer of a renewed vision of the local governance of migrations characterizing the local reception practices observable in cities of the South. Our reflection is based on the city of Taza (northeastern Morocco), which has been receiving sub-Saharan migrant populations dispersed by the Moroccan authorities since 2015. Drawing on an empirical study undertaken in 2017–2020, we examine the urban declensions of local solidarities and the heterogeneous forms of embodied rights produced by imaginative forces of law. Through the observation and the examination of the ASAM association in Taza, we report on the creative and resilient potential of the city in the face of migration as a response to the vulnerability of migrants by asserting their right to the city. As a counterpoint to security injunctions, ASAM innovates in the reception and constitutes a social and political alternative contributing to institute a greater socio-legal recognition of migrant populations. This article invites us to explore the dialectic of this force, which structures an imaginary of the city in a context of constraint where the practice of law becomes an instrument of resistance and regulation by transforming tensions into interactions. The imaginative force of local law allows us to read the complexity of urban potential as a process that humanizes the relationships to places and individuals that are played out at the local level, thus revealing the emergence of cities that adopt a ‘welcoming’ posture and act as refuge cities, resisting the policy of dispersal.
Entre septembre 2018 et octobre 2020, l’ancien collège Maurice Scève, situé dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon, a été occupé par plusieurs centaines d’exilés d’Afrique subsaharienne. Dans cette situation, les acteurs publics locaux, qu’ils relèvent de l’État territorialisé ou des collectivités locales, ont oscillé entre l’accueil et le rejet. Durant les premiers mois de l’occupation, la Métropole de Lyon, propriétaire du bâtiment, a conjointement demandé l’expulsion du squat et financé l’intervention de deux associations pour une aide qualifiée d’ « humanitaire ». Lors de l’évacuation du squat intervenue deux ans plus tard, notamment après avoir vu à nouveau sa demande d’expulsion refusée par le tribunal judiciaire de Lyon, c’est l’ensemble de la population abritée dans le collège que l’institution métropolitaine a mis à l’abri : non seulement les mineurs non-accompagnés (MNA) dont elle est responsable, mais également les personnes relevant du droit d’asile censées être prises en charge par l’État ou encore les personnes « sans droits ni titres » qu’aucune institution publique ne prend en charge si ce n’est le SAMU social.
Dès lors, comment expliquer les contradictions apparentes de la Métropole : entre évacuation et prise en charge, ou encore entre sa position de fermeté quant à des pratiques illégales et la mise à l’abri de tous les squatteurs lors de la fermeture ? Cette tension réside d’ailleurs dans la pratique même du squat, illégalisme à l’intersection entre le droit de propriété et le droit au logement (Aguilera, 2012). Peut-on alors, à partir du cas emblématique du squat Maurice Scève à Lyon, déceler un paradoxe local qui viendrait illustrer les injonctions contradictoires auxquelles les villes sont confrontées en matière d’accueil des populations migrantes ?
Cet article retrace l’histoire du squat Maurice Scève et cherche à mettre au jour les articulations des acteurs engagés dans la « gestion » menant à la fermeture du squat. C’est sur l’action de la Métropole de Lyon, principal acteur public engagé, que la focale est particulièrement placée. Plus largement, en réinscrivant le squat dans un contexte migratoire français et européen, puis en documentant la gestion publique d’une manifestation visible de la « crise de l’accueil » (Withol de Wenden, 2017), l’étude de cas lyonnaise cherche à comprendre le rôle que peuvent avoir les villes dans l’accueil des exilés.
Amadora est une ville de la métropole de Lisbonne au Portugal, et la troisième ville d’installation de personnes immigrées du pays. La municipalité d’Amadora jouit d’une réputation bien différente à l’échelle européenne par rapport à l’échelle nationale. Ainsi, au niveau européen, les autorités sont très actives et participent à plusieurs réseaux européens de villes ciblant des questions liées à l’accueil des personnes migrantes (Réseau des Villes Interculturelles, et URBACT). Pourtant au Portugal, Amadora est une ville associée aux problèmes de racisme et de violences policières. Cette ambivalence pose question. Comment expliquer ces deux réputations opposées ? Ces engagements européens sont-ils la marque d’une réelle volonté de lutter contre le racisme ? Ou plutôt une politique publique symbolique, masquant les effets structurels du racisme hérité de la période coloniale au Portugal ? Plus largement, je souhaite comprendre la politique d’accueil de cette ville péri-urbaine pauvre, et les gains d’une participation à des réseaux européens. Afin de répondre à ces questions, je propose de partir d’un document officiel rédigé par des acteurs.trices municipaux.ales : le Plan Municipal d’Intégration des Immigrés (PMII). J’analyse le contenu de ce document, ainsi que des entretiens menés avec les partenaires inclus.e.s dans la rédaction et la mise en œuvre du plan. Ce Working Paper présente les conclusions préliminaires de cette analyse. J’avance que la participation d’Amadora à des réseaux de villes ne permet pas de dépasser les inégalités vécues par les habitant.e.s racisé.e.s, leur manque de représentation, ou encore le tabou colonial. Cette participation semble plutôt liée au développement d’une nouvelle image de la ville.
Lancée en 2006 avec le soutien de l’Unesco, la Coalition des villes africaines contre le racisme et les discriminations regroupe 58 municipalités. Ce chapitre vise à en étudier les modalités de construction et de fonctionnement. Il se rattache à deux enjeux scientifiques principaux : d’une part, il cherche à mieux comprendre l’organisation spatiale de l’action politique, en documentant les facteurs qui incitent les maires à privilégier une coopération dans la discontinuité réticulaire plutôt que dans la proximité territoriale lorsqu’il s’agit de travailler à l’accueil des migrants ; d’autre part, le chapitre a pour objectif d’éclairer les relations entre les pouvoirs municipaux et les États en analysant les processus de transfert de compétences et de ressources utiles à la prise en charge des migrants. S’appuyant sur l’analyse de documents institutionnels et d’entretiens semi-directifs, le chapitre révèle le rôle joué par l’Unesco et les villes « cheffes de file » dans l’élargissement de la Coalition à de nouveaux membres et la mise en œuvre d’un programme commun d’actions. Il met aussi en lumière les difficultés des membres de la Coalition pour appliquer ce programme, qui s’expliquent en partie par l’inachèvement des processus de décentralisation et le manque d’autonomie juridique et financière qui en découle.
Dans le cadre de son plan municipal d’accueil Barcelona Ciutat Refugi, Barcelone mise sur les réseaux de villes et promeut une vision “city-to-city” de la gouvernance de l’asile.
Ville nodale par excellence, la capitale catalane souhaite se placer en “pionnière”, en “leader” de cette question sur la scène européenne, en multipliant les partenariats, les représentations publiques, et les réseaux pour partager des pratiques d’accueil. Et cela, tant à l’échelle nationale qu’internationale.
Pour autant, ces relations interurbaines jouent un rôle très marginal dans la construction et l’orientation de la politique d’accueil barcelonaise : leurs missions premières restent celles de la stratégie politique, du plaidoyer municipal, de la publicisation de la politique publique locale et repose sur d’importantes logiques partisanes qui fragilisent dès lors la dynamique réticulaire à chaque temps électoral.
Notre recherche s’intéresse aux pratiques locales d’accueil par de jeunes retraités, jusqu’alors néophytes, installés dans des grandes villes, des villes petites ou moyennes, mais aussi en milieu rural. Leurs trajectoires présentent certaines similarités, du fait de leur métier, leur investissement associatif ou syndical, mais aussi de la temporalité de cet engagement : il intervient en effet après 2015 et la “crise de l’accueil” en Europe. Ce working paper met en exergue le rôle joué par le capital réticulaire, compris comme la mobilisation et la création de ressources liées aux réseaux professionnels, amicaux, politiques, résidentiels ou familiaux, pour soutenir les personnes exilées. Il donne à voir des formes locales d’engagement plurielles et complémentaires, à même de s’adapter à l’hétérogénéité du vécu des personnes exilées. Cependant, la pérennité de cet engagement et l’institutionnalisation de ces formes d’accueil demeurent très incertaines, étant donné l’âge des personnes soutien, la volatilité d’un capital réticulaire qui se construit de manière relativement autonome par rapport aux associations, et les fragilités propres à certains territoires.
L’association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita) est un réseau de villes françaises créé à la suite de la crise de l’accueil, dans les années 2015–2016. Fédéré autour d’un agenda de promotion et de mise en œuvre d’un accueil inconditionnel, ce réseau rassemble aujourd’hui près d’une centaine de membres aussi divers que de petits villages de montagne de quelques centaines d’habitants jusqu’aux grandes métropoles de Lyon ou Bordeaux. Comment ce réseau concilie-t-il les attentes de membres aussi hétérogènes ? Quelles relations maintient-il avec ses partenaires étatiques ou non-étatiques, et notamment la société civile ? Ce cas d’études ouvre ainsi une fenêtre pour comprendre le fonctionnement des réseaux de villes et les défis auxquels ils sont confrontés pour se pérenniser dans le temps.
Depuis maintenant quelques années, les habitant.e.s de Paris et de Ouistreham ont vu leur quotidien transformé par les campements urbains et par la présence d’exilés dans la géographie de leur ville. Au-delà du contexte particulier propre à chaque territoire, ce chapitre s’intéresse aux expériences d’engagement des personnes solidaires et aux tensions politiques qui les traversent.
Peut-on distinguer un engagement qui serait d’ordre plutôt caritatif et « humanitaire » d’un autre plus « politique » ? Si à Ouistreham, les membres du collectif sont pris dans un tiraillement entre le fait de ne pas vouloir faire de politique ou d’en faire « autrement » ; à Paris, l’épuisement de l’urgence et l’écœurement de la cause politique vécu par les engagés poussent la majorité au désengagement tout en se concentrant sur une relation interpersonnelle avec l’exilé rencontré. Cette contribution partagera quelques réflexions sur les freins à s’engager au-delà de l’aide matérielle pensée comme transitoire, en prenant en compte d’une part, la dissymétrie et le rapport inégalitaire d’aide, et d’autre part, le caractère très localisé de l’engagement.
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