Résumé par Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, anthropologue et psychologue
Introduction par Emeline Zougbédé, socio-anthropologue, coordinatrice scientifique du département POLICY
Intervenant.es :
- Sara Casella-Colombeau, politiste (Université Grenoble-Alpes, ILCEA4)
- Frédéric Décosse, sociologue (CNRS-LEST, Codetras)
- Jean-Albert Guidou, secrétaire général syndical (Union locale CGT Bobigny)
- Béatrice Mésini, géographe (CNRS-TELEMME, MMSH, Codetras)
- Patrice Peytavin, directeur du travail
- Daniel Veron, sociologue (Université de Caen, ESO)
La législation du travail permet des situations irrégulières, car elle est subordonnée à la liberté de circulation des services et contrainte par les directives du ministère de l’Intérieur. Les sans-papiers et les travailleurs détachés subissent souvent des conditions de travail très éloignées de ce que le droit du travail français garantit aux travailleurs nationaux sur le territoire. Ces situations parfois inhumaines résultent tout d’abord de la législation, qui autorise des différences, et dont l’application est difficile à contrôler.
Ainsi, le droit du travail français permet le détachement de travailleurs d’autres pays de l’Union Européenne, de façon temporaire, sur le sol français, afin de ne pas entraver la libre circulation des services. Mais ce principe heurte le droit du travail. En effet, d’une part les droits des salariés varient d’un pays à l’autre, et pour l’inspection du travail il est très difficile de vérifier que les droits sociaux (santé, retraites, etc.) des travailleurs sont bien appliqués dans le pays d’origine. D’autre part, il est presque impossible de vérifier qu’un même salarié, lorsqu’il est sur le sol français, ne passe pas d’un sous-traitant à un autre tout en travaillant en fait pour le même donneur d’ordre. Il en résulte parfois des conditions de travail extrêmement dures, surtout si le salarié est lui-même un migrant en situation précaire dans le pays d’origine de la société qui fournit le service. Il y a donc opposition entre le droit du travail et le droit de libre circulation des services.
Le CODETRAS[1]Collectif de défense des travailleur•euses étranger•ères dans l’agriculture lutte pour que leur situation soit régularisée, alors même que des cas de discrimination systémique sont avérés. Les changements sont lents, car la structure du monde agricole ne permet pas de mouvements syndicaux forts et fait obstacle aux contrôles de l’inspection du travail.
« Les sans-papiers et les travailleurs détachés subissent souvent des conditions de travail très éloignées de ce que le droit du travail français garantit aux travailleurs nationaux sur le territoire. »
En n ce qui concerne les sans-papiers résidant et travaillant en France, un autre obstacle légal vient entraver leur protection. Dès lors qu’ils se manifestent pour faire valoir leurs droits, ils deviennent visibles et risquent ainsi d’attirer l’attention du ministère de l’Intérieur sur leur situation irrégulière. Il faut donc d’abord prouver que les travailleurs sont des victimes pour qu’ils puissent ensuite bénéficier d’une protection et que l’arrêt des conditions de travail illégales ne donnent pas lieu à des sanctions ou des OQTF[2]Obligation de quitter le territoire français. La circulaire Valls a permis des régularisations, ce qui est une bonne chose, mais a également laissé l’initiative à l’employeur et son traitement à la préfecture. De forts écarts sont ainsi constatés, tant chez les employeurs qu’entre les administrations. Cependant les victoires légales pour les sans-papiers permettent une jurisprudence bénéfique pour de futures régularisations, d’où l’importance de ces actions.
Il apparaît clairement que les droits fondamentaux des salariés – sécurité, égalité, paiement des salaires, respect des modalités de licenciement – sont plus systématiquement mis à mal dans le cas des sans-papiers ou des travailleurs détachés. Depuis 2008, le droit du travail a lentement évolué pour protéger les salariés migrants, mais de façon insuffisante. Il faut donc poursuivre la mobilisation syndicale et politique afin que la législation évolue. L’illégalité doit être plus facilement détectable et sanctionnée.
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L’auteure
Maire-Caroline Saglio-Yatzimirsky est anthropologue et psychologue, directrice de l’”Institut Convergences Migrations.
Citer cet article
Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, « Travailleur•ses étranger•ères : des droits à géométrie variable ? — Session coordonnée par le département POLICY », in : Solène Brun, Audrey Lenoël, Betty Rouland, Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, Adèle Sutre, Emeline Zougbédé et Nina Wöhrel (dir.), Dossier « Conférence internationale Travail en migration /Migration at work », De facto Actu [En ligne], 2 | Juillet 2023, mis en ligne le 17 juillet 2023. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2023/07/05/defacto-actu-002–08/
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