Résumé par Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, anthropologue et psychologue
Keynote par Thomas Piketty, économiste (ESHESS, PSE)
Les flux migratoires actuels sont une preuve de la mobilité du travail, de même qu’il y a une mobilité du capital. Ces deux mobilités simultanées auraient comme conséquence une diminution des écarts de la rentabilité des capitaux et des salaires entre les différentes régions du monde, les migrants quittant des zones de bas salaire, et le capital allant là où il est le mieux rémunéré. Sans régulation, cette hyper mobilité, notamment du capital, favorise les inégalités. Alors comment penser les migrations sans accroître les inégalités ? Cela suppose le passage à un État social-global, qui inclut les enjeux climatiques.
Tout d’abord, les flux de capitaux ont considérablement augmenté et ont atteint des volumes inégalés dans l’histoire, alors que la proportion de personnes travaillant dans un pays où elles ne sont pas nées, et où leurs parents ne sont pas nés est en deçà du niveau du début du siècle dernier. Par ailleurs, les inégalités de revenus entre et dans les pays montrent bien que la répartition des richesses créées varie profondément. Ainsi, la part du revenu national aux 10% des revenus les plus hauts va de 25% en Europe du Nord et en France à 60% dans les pays les plus inégalitaires comme le Brésil, l’Inde ou les pays pétroliers du Golfe. Il convient de regarder aussi les inégalités de détention du capital. Dans les pays les moins inégalitaires, les 40% du milieu détiennent 35% des richesses, dans les pays fortement inégalitaires ils détiennent à peine plus de 20%, et dans ces pays les 50% les plus pauvres possèdent 1 ou 2% des richesses totales. Les inégalités de patrimoine sont plus fortes que celles du revenu. Dans ce contexte, il apparaît clairement que les migrants se trouvent souvent en bas de l’échelle salariale, et sans capital. D’autres dimensions des inégalités, notamment de genre, sont à prendre en compte. Seule la mobilisation sociale et politique peut diminuer ces inégalités et permettre au travail d’être rémunéré dans un cadre plus égalitaire.
« L’éducation est le facteur primordial de réduction des inégalités, tout particulièrement pour les migrants. »
Enfin, l’éducation est le facteur primordial de réduction des inégalités, tout particulièrement pour les migrants. Si on regarde la part donnée aux 10% des enfants qui reçoivent le plus, on voit des écarts massifs dans le monde colonial, d’où un héritage éducatif défavorable. Ces écarts se réduisent, ce qui est bien, mais pas assez, les 10% les mieux dotés en France reçoivent deux à trois fois plus que l’étudiant médian.
Par ailleurs, les étudiants migrants non européens, venant souvent de pays pauvres, sont fortement désavantagés car ils doivent s’acquitter de frais bien supérieurs à ceux d’un étudiant français. Ce mécanisme ralentit la réduction des inégalités que subissent de nombreux migrants. Faciliter l’accès aux études supérieures est donc un axe de progrès prioritaire. De façon générale, on ne peut pas réfléchir sur les migrations et les inégalités sans réfléchir à l’accès aux prestations sociales et leur financement par un impôt progressif, national ou transnational. On ne peut pas non plus se restreindre à l’Europe, laissant de côté l’ancien monde colonial : des accords bilatéraux doivent être mis en place.
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L’auteure
Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky est anthropologue et psychologue, directrice de l’Institut Convergences Migrations.
Citer cet article
Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky « De l’État social-national à l’État social-global, Réflexions autour du travail, de la migration et de l’égalité — Keynote par Thomas Piketty », in : Solène Brun, Audrey Lenoël, Betty Rouland, Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, Adèle Sutre, Emeline Zougbédé et Nina Wöhrel (dir.), Dossier « Conférence internationale Travail en migration /Migration at work », De facto Actu [En ligne], 2 | Juillet 2023, mis en ligne le 17 juillet 2023. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2023/07/05/defacto-actu-002–01/
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