Membres du projet MoCoMi, Filippo Furri et Linda Haapajärvi ont coordonné deux panels sur le thème « Ethnographic approaches to recording migrant deaths and disappearances » à la ERQ conférence à Trento le 9 et le 10 juin (Lien vers le site de la conférence).
Le point du départ du panel était le constat suivant : Les registres de population sont une des principales technologies utilisées par les États modernes pour connaître et à gouverner leurs citoyens. Ces systèmes de collecte de données sont révélateurs de projets politiques puissants : ils confèrent des droits aux individus et informent le traitement des citoyens par les autorités publiques. Dans un monde marqué par d’intenses mobilités transfrontalières, les bureaucraties étatiques sont toutefois confrontées à la présence de non-citoyens de différents statuts sur leur territoire. D’un point de vue bureaucratique, les migrants disparus ou décédés sont particulièrement problématiques. Que ce soit pour des raisons pratiques ou politiques, ils peuvent laisser peu de traces, voire aucune, dans les registres administratifs. Leur identité peut être inconnue. Il n’est pas toujours clair quelles autorités – locales, nationales, supranationales – sont responsables pour le traitement des non citoyens morts ou disparus.
L’appel à communication lancé en automne 2022, visait à attirer des chercheurs analysant des tentatives d’enregistrement des décès et disparitions de migrants à l’appui des approches méthodologiques innovantes, par exemple en produisant des bases de données locales de migrants décédés ou en recherchant les disparus en ligne. Son objectif était d’offrir un forum aux chercheurs pour qu’ils examinent de manière critique les pratiques de gouvernement de la mort et de la disparition en contexte des migrations sur la base de recherches empiriques originales.
Les deux panels ont rassemblé des chercheurs impliqués dans la recherche sur les décès et disparitions de migrants ainsi que sur la mobilité transfrontalière des restes mortels des migrants – des questions qui posent un défi majeur aux bureaucraties chargées de gérer les flux de population.
Le vendredi matin, Filippo et Linda ont introduit le panel en restituant les travaux présentés dans le contexte des recherches passées sur la disparition et la mort sur les frontières et en ouvrant de nouvelles perspectives pour les travaux en cours et à venir.
En particulier, l’accent a été mis sur l’encadrement de la problématique (analogies et différences entre les catégories de « border deaths » et de “missing migrants” par rapport à d’autres cas de disparitions individuelles ou collectives – disparitions forcées, génocides, conflits armés), sur l’évolution d’une part des politiques et des pratiques de recherche et de gestion des corps des personnes disparues ou décédées en migration, et des perspectives de recherche sur le sujet (le passage des tentatives des acteurs institutionnels et activistes de compter les morts/disparus vers une perspective plus axée sur les pratiques et les technologies qui visent à localiser les personnes disparues et identifier les corps retrouvés déployées notamment par les familles et divers acteurs de la société civile).
Trois présentations ont eu lieu dans la matinée du vendredi 9 juin :
Giulia Sezzi, Scuola Normale Superiore Pisa : ”The Disappearing Multitude. Disappearance as a Governmental Strategy of the European Border Regime »
Paola Diaz, École des hautes études en sciences sociales, Paris & Anne Rahel Fischer, Université du Québec à Montréal : « Ethnography of forensic devises to register the deaths and disappearances of migrants crossing borders”
Chloé Tisserand, Université de Lille (également associée au projet MoCoMi). « Ethnographing the « border body » in forensic medicine »
La séance du samedi matin était articulée autour de quatre présentations :
Daniela De Bono, University of Malta : “The Paupers of the Sea : Death, dignity and hospitality in Malta”
Lisa Senecal, University of Lisbon : “Deathnography : An ethnographic study of Malta’s regime of borders through border-crossing deaths”
Sofia Stimmatini, Université Libre de Bruxelles : « Missing migrants in Morocco : families and associations seeking truth and justice”
Valentina Zagaria, University of Manchester & Moctar Dan Yaye, Alarmphone Sahara : “Cemeteries as commons ? Caring for the missing and the border dead in Niger and Tunisia”
L’impact du Covid-19 sur les pratiques de contrôle des frontières et du traitement des migrants, vivants ou morts, a été soulevé par plusieurs présentations et lors des discussions collectives : tantôt utilisé pour des fins politiques de légitimation, ou de contestation, des pratiques restrictives ou liberticides, le contexte pandémique a façonné les pratiques des migrants, des familles, des organisations de la société civile et des chercheurs mais aussi les manières d’imaginer la mort, les frontières et le mouvement.
Grâce au soutien de MoCoMi, nous avons pu réunir les panelistes autour d’un dîner, de continuer les discussions et de réfléchir à une publication commune ainsi qu’à de futures collaborations.