Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, anthropologue
Le projet de loi propose les trois leviers de l’intégration : la langue française, le respect des valeurs de la République, le travail. Le titre 1 s’intitule « Assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue ». En ce qui concerne la langue, la proposition majeure est de conditionner l’octroi d’un titre de séjour long à la réussite d’un examen de français, là où aujourd’hui la simple participation effective à une formation linguistique est requise.
Le projet de loi prévoit pour cela :
- des modifications du CESEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers
et du droit d’asile) avec nécessité pour les personnes ayant signé le contrat d’intégration républicain (CIR) de justifier « d’une connaissance de la langue française » s’ils demandent une carte de séjour pluriannuelle au bout d’un an, - des modifications dans le code du travail, notamment la possibilité pour l’employeur de proposer aux salariés allophones des formations en français,
- l’introduction d’un examen par l’OFII qui dispense la formation linguistique, et dont le niveau sera déterminé par décret
« L’une des révolutions de ce projet de loi c’est de passer une obligation de moyen à une obligation de résultat. »
G. Darmanin, ministre de l’Intérieur, Commission des lois du Sénat (28 fév. 2023)
Analyse
Cette proposition vient durcir une évolution tardive : l’introduction de
la maîtrise du français comme critère de l’intégration républicaine,
qui apparaît en 1945 pour la naturalisation, en 2003 pour l’obtention
d’un titre de séjour.
Présentée comme facteur d’intégration, la langue, autrement dit la maîtrise du français, apparaît pourtant comme un facteur d’exclusion, à la fois direct (un examen trie les locuteurs des non locuteurs) et indirect (les procédures de demandes d’asile).
« C’est pour trier et non pour intégrer que la maîtrise du français est aujourd’hui exigée. »
Danièle Lochak, juriste et ancienne présidente du GISTI
Les efforts demandés aux étrangers pour l’obtention de titres de séjour se rapprochent des efforts exigés pour la naturalisation (cf. Code de la nationalité) et la maîtrise linguistique est exigée de plus en plus tôt.
Le projet de loi introduit des inégalités entre candidats au droit de séjour long selon leur niveau en français, leur niveau d’information, leur niveau d’alphabétisation, leurs moyens financiers (accès inégal aux organismes agréés).
La loi est difficile à appliquer (évaluation du niveau, accès des formations sur l’ensemble du territoire, saturation, etc.).
Conclusion
Les limites du projet de loi ne sont pas seulement dans l’instrumentalisation de la langue comme facteur d’exclusion et de tri, elles sont aussi dans l’opportunité manquée de renforcer la langue comme médium essentiel d’intégration, avec des conséquences qui peuvent être très pernicieuses sur le plan psychosociologique (niveau de langue comme condition) et sur le plan économique (introduction de biais et d’inégalité d’accès aux formations). Plutôt que d’opposer les langues maternelles à la langue française, il semblerait intéressant de faire de l’apprentissage du français un droit et non une condition liée à l’intégration et à l’obtention de papiers. Il serait également judicieux de mieux investir dans cet apprentissage, avec la mise en place de cadres plus flexibles, sur des temps plus longs et ouverts à tous.
Pour aller plus loin :
- Gallienne E., « Désarmer le français », intervention dans la séance Co-constructions & frictions – Politique et ordre des langues, Non-lieux de l’exil, 2023
- Le Ferrec L. et Veniard M. (dirs), Langage et migration : perspectives pluridisciplinaires, Limoges, Lambert-Lucas, 2021
- Lochak D., « Intégrer ou exclure par la langue ? », Plein droit n° 98, 2013, numéro Langues étrangères, GISTI
L’autrice
Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky est anthropologue, professeur à l’Inalco, Paris – CESSMA (UMR 245) et psychologue clinicienne à l’hôpital Avicenne de Bobigny. Elle dirige l’Institut Convergences Migrations.
Citer cet article
Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, « Intégration par la langue », in : Tania Racho, Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky et Emeline Zougbédé (dir.), Dossier « Projet de loi « Immigration et intégration » : le décryptage », De facto Actu [En ligne], 1 | Mars 2023, mis en ligne le 21 mars 2023. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2023/03/14/defacto-actu-001–02/
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