CONF : Le pouvoir discrétionnaire en pratique(s) Rapports au droit, dilemmes moraux, et luttes juridiques – Jeudi 31 mars & Vendrer 1er avril 2022, AMPHI F417 – Nouvelle Maison de la Recherche, Campus UT2J

Présen­ta­tion

Cette double journée d’étude se propose d’exa­miner les formes et les effets (poli­tiques, sociaux, orga­ni­sa­tion­nels, etc.) de l’exer­cice du pouvoir discré­tion­naire. Elle s’ins­crit dans le prolon­ge­ment du travail mené dans le cadre du projet ANR DisPow.

D’un point de vue juri­dique, le pouvoir discré­tion­naire relève d’une action entre­prise à l’ap­pré­cia­tion d’une admi­nis­tra­tion et/​ou d’un agent public, sans que sa conduite ou déci­sion ne lui soit dictée clai­re­ment ou de manière univoque par le droit. En prin­cipe, ce pouvoir est donc exercé par les détenteur·rice·s d’une auto­rité publique (centrale ou décen­tra­lisée, de main­tien de l’ordre ou admi­nis­tra­tive) et se mani­feste par leur liberté d’ac­tion lorsque les déci­sions qu’iels ont à prendre ne sont pas enca­drées de façon stricte par des règles de droit et/​ou des procé­dures détaillées (Van der Woude et Van der Leun 2017). Cette « compé­tence discré­tion­naire » est alors accordée par la loi aux agents de l’Etat, tels que les fonc­tion­naires administratif·ve·s (Laurens 2008, Miaz 2019). Elle permet, du moins en théorie, de distin­guer « pouvoir discré­tion­naire » et « mesures arbi­traires », les dernières renvoyant à des pratiques abusives car prises mani­fes­te­ment en déca­lage par rapport aux textes juri­diques, aux procé­dures, ou aux compé­tences attri­buées aux agents concernés (Chauvet 2009). Néan­moins, les textes peuvent se prêter à des inter­pré­ta­tions telle­ment diffé­rentes (ou rentrer en conflit entre eux) que la fron­tière entre discré­tion­naire et arbi­traire est parfois diffi­cile à tracer (Fassin 2014, Camp­bell 1999).

Si l’exis­tence d’un pouvoir discré­tion­naire est consub­stan­tielle à l’ac­ti­vité des agents de l’Etat (fonc­tion­naires préfec­to­raux, forces de l’ordre, magis­trats etc.), l’ac­tua­lité poli­tique (des violences poli­cières aux ques­tion­ne­ments que soulève la gestion récente des crises sani­taires et sociales) encou­rage à appro­fondir la compré­hen­sion des logiques et pratiques rele­vant du pouvoir discré­tion­naire via la compa­raison entre plusieurs terrains d’en­quête et plusieurs groupes d’acteur·rice·s (dans le domaine de la santé, de la justice, de l’édu­ca­tion, du travail, de la culture, etc.).

Dans le cadre du projet DisPow, les enquêtes menées ont exploré les multiples facettes du pouvoir discré­tion­naire en pratique(s) en se foca­li­sant à la fois sur des terri­toires spéci­fiques, les fron­tières, et sur un champ juri­dique parti­cu­lier, le droit des étranger·e·s : en effet, ces deux focales permet­taient de montrer à quel point l’im­pré­ci­sion des critères légis­la­tifs ou règle­men­taires laisse la possi­bi­lité – ou impose la respon­sa­bi­lité – aux acteurs publics mais aussi privés de choisir comment inter­préter les règles ou consignes et donc comment agir face à une situa­tion concrète, avec comme consé­quences prin­ci­pales, d’une part, des pratiques très dispa­rates selon le terri­toire, l’or­ga­ni­sa­tion du service, les enjeux répu­ta­tion­nels au sein du groupe, etc., et d’autre part, un accès des étranger·e·s à leurs droits très aléa­toire. Ainsi, nous avons commencé à explorer les formes et les effets d’un pouvoir discré­tion­naire qui désigne la sphère d’au­to­nomie à l’in­té­rieur de laquelle les agents de l’ad­mi­nis­tra­tion (Spire 2008, Dubois 2009), mais aussi les « faiseurs de fron­tière » (trans­por­teurs, contrô­leurs, agents de sécu­rité etc.) (Guene­beaud 2019) et les accompagnant·e·s (juristes béné­voles, avocat·e·s, acti­vistes) (Lendaro 2021) peuvent prendre diffé­rentes déci­sions au sujet des personnes en situa­tion de migra­tion, et ce, pas forcé­ment en l’ab­sence d’une règle mais plus souvent en présence d’une multi­pli­cité d’in­jonc­tions ou de sugges­tions dont le degré de contrainte varie (Parrot 2019).

A la suite d’une première journée d’étude qui s’est tenue en ligne en décembre 2020, cette double journée d’étude a voca­tion à faire dialo­guer des travaux empi­riques, épis­té­mo­lo­giques et métho­do­lo­giques consa­crés aux moda­lités concrètes de l’exer­cice du pouvoir discré­tion­naire dans diffé­rents domaines, à sa concep­tua­li­sa­tion, comme aux stra­té­gies d’en­quête et d’in­ter­pré­ta­tion des données.

Quelles sont les mani­fes­ta­tions de ce pouvoir et que nous disent-elles de phéno­mènes sociaux plus globaux tels que l’évo­lu­tion des inéga­lités entre groupes sociaux, l’ef­fec­ti­vité des libertés publiques, la défiance envers les insti­tu­tions, ou encore la place du droit dans les mouve­ments sociaux ? Comment les chercheur·e·s composent-iels en pratique avec les spéci­fi­cités de ce pouvoir, afin de le soumettre à investigation ?

Programme Sessions JE Le pouvoir discré­tion­naire en pratique