Accès aux soins des étrangers en situation irrégulière en Allemagne. Des perspectives d’amélioration ?

Jérémy Geeraert, sociologue

En Allemagne, l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière est mis à mal par une politique migratoire restrictive qui oblige ce groupe à recourir aux soins dans le secteur associatif. Des évolutions récentes présagent d’une amélioration de la situation.

Cette image montre le visuel de la campagne « Gleich­be­han­deln » (Égalité de trai­te­ment), lancé par un collectif d’as­so­cia­tions afin de lutter pour une modi­fi­ca­tion du para­graphe de loi qui oblige les fonc­tion­naires à dénoncer les étran­gers en situa­tion irré­gu­lière. L’image a été projetée devant le parle­ment alle­mand à Berlin et contient le message « La santé est un droit humain. Je n’en ai pas le droit. » Crédits : Ärzte der Welt 2021. 

Introduction

L’Allemagne appa­raît comme un des pays de l’Union euro­péenne qui protègent le moins la santé de ses ressor­tis­sants irré­gu­liers. Si nos voisins d’Outre-Rhin sont engagés par diffé­rents traités euro­péens et inter­na­tio­naux à respecter les droits fonda­men­taux (dont celui de l’accès aux soins de santé primaires), la réalité sur le terrain révèle des entraves struc­tu­relles à ceux-ci. Les étran­gers en situa­tion irré­gu­lière, mais aussi certains ressor­tis­sants euro­péens, rencontrent des barrières multiples à l’accès aux soins. Les raisons à cela sont avant tout à cher­cher dans l’immixtion d’une poli­tique migra­toire dissua­sive dans les poli­tiques de santé. Les discours construi­sant les étran­gers comme une menace pour l’État social ont conduit à déve­lopper des instru­ments règle­men­taires qui excluent de manière directe et indi­recte ces groupes du système de santé alle­mand. Les poli­tiques de rigueur budgé­taire ont eu tendance à accen­tuer ces problèmes. Les évolu­tions démo­gra­phiques récentes semblent cepen­dant avoir changé quelque peu la donne.

Des étrangers sans papiers exclus du système de santé public

Sur le plan juri­dique, les étran­gers en situa­tion irré­gu­lière disposent théo­ri­que­ment des mêmes droits en matière de santé que les deman­deurs d’asile, c’est-à-dire une protec­tion couvrant un éven­tail de soins restreints aux douleurs aigües et aux mala­dies graves. Cepen­dant, une dispo­si­tion de la loi sur le droit de séjour (Aufen­thalts­ge­setz) rend ces droits prati­que­ment inuti­li­sables. En effet, l’obligation faite aux fonc­tion­naires de dénoncer auprès des admi­nis­tra­tions de la migra­tion les usagers sans-papiers qu’ils rencontrent dans leur travail a un effet forte­ment dissuasif. Dans les faits, c’est donc prin­ci­pa­le­ment la menace de l’expulsion qui décou­rage ce groupe de recourir aux systèmes de protec­tion publics.

Une excep­tion existe à l’obligation de dénon­cia­tion, celle des soins urgents et vitaux. Dans ces cas-là, les services sociaux sont tenus au secret médical lorsqu’ils reçoivent une demande de prise en charge. Mais ici aussi, cette protec­tion n’est que théo­rique. Dans les faits, les démarches à réaliser sont si compli­quées, les délais telle­ment courts et les chances de succès proches de zéro que les services hospi­ta­liers concernés préfèrent soit refuser les soins aux patients sans papiers arri­vant en urgence, soit envoyer direc­te­ment les factures aux patients ou à leur famille. Le montant souvent très élevé de ces factures plonge les personnes concer­nées et leur famille dans le suren­det­te­ment. Dans ce cas précis, on voit comment se conjuguent les effets des poli­tiques migra­toires et ceux des poli­tiques d’austérité dans le secteur de la santé et du social.

« Les discours construisant les étrangers comme une menace pour l’État social ont conduit à développer des instruments règlementaires qui excluent de manière directe et indirecte ces groupes du système de santé allemand.  »

Jérémy Geeraert, socio­logue

La peur de l’expulsion et du suren­det­te­ment pousse les sans-papiers à se tourner vers le secteur asso­ciatif et huma­ni­taire qui, lui, garantit l’anonymat. Ils en sont dépen­dants pour tous leurs soins, que ce soient pour des problèmes aigus, la prise en charge de mala­dies chro­niques ou pour des situa­tions qui néces­sitent une inter­ven­tion à l’hôpital (accou­che­ment, opéra­tions, etc.). Pour­tant, ayant inté­rio­risés leur illé­gi­ti­mité à être protégés, les patients ne viennent souvent cher­cher de l’aide que lorsque les douleurs deviennent insup­por­tables. Ces retards de soins sont encore accen­tués par le fait que ces struc­tures d’aide issues de la société civile, et finan­cées par des dons, ne peuvent mettre à dispo­si­tion qu’une offre de soins parcel­laire et incom­plète, qui n’est dispo­nible que dans les grandes villes. Les mala­dies dont le trai­te­ment est trop compliqué ou trop cher ne sont ainsi tout simple­ment pas prises en charge en raison de ce manque de ressources en tout genre.

Vers une prise de conscience et une amélioration ?

Depuis 2015 et l’envol des chiffres de l’immigration vers l’Allemagne, la popu­la­tion des étran­gers en situa­tion irré­gu­lière s’est accrue et les problèmes qu’ils rencontrent ont gagné en visi­bi­lité. Cela a eu pour effet une augmen­ta­tion de l’offre de soins pour ces exclus du système de santé. Non seule­ment les struc­tures de soins issues du milieu asso­ciatif se sont démul­ti­pliées mais égale­ment celles prove­nant d’initiatives publiques locales, au niveau du Land (région) ou de la ville : les Clea­ring­stellen. Ces struc­tures offrent accom­pa­gne­ment social et accès (limité) aux soins à ceux et celles qui n’ont pas de couver­ture maladie, y compris de manière anonyme pour les étran­gers en situa­tion irré­gu­lière. Cette initia­tive faisait partie des reven­di­ca­tions de l’asso­cia­tion Medibüro —– asso­cia­tion qui lutte pour l’accès aux soins des étran­gers en situa­tion irré­gu­lière — depuis sa créa­tion en 1995. Ce regain d’intérêt pour les ques­tions d’accès aux soins à la fois dans la société civile et dans le monde poli­tique laisse présager d’autres trans­for­ma­tions struc­tu­relles dans ce domaine. Ainsi, depuis l’an dernier, la branche alle­mande de Méde­cins du monde, le Medibüro et une cinquan­taine d’autres orga­ni­sa­tion mènent une campagne natio­nale pour modi­fier le para­graphe de loi sur le droit au séjour qui oblige les fonc­tion­naires à dénoncer les étran­gers en situa­tion irré­gu­lière. Cette propo­si­tion a été reprise dans les accords de coali­tion du nouveau gouver­ne­ment qui s’est mis en place en novembre 2021 et laisse espérer une amélio­ra­tion de la situation.

Pour aller plus loin
L’auteur

Jérémy Geeraert est cher­cheur post-docto­rant au Centre de recherches socio­lo­giques sur le droit et les insti­tu­tions pénales (Cesdip).

Citer cet article

Jérémy Geeraert, « Accès aux soins des étran­gers en situa­tion irré­gu­lière en Alle­magne. Des pers­pec­tives d’amélioration ? », in : Betty Rouland (dir.), Dossier « L’aide médi­cale d’État, la fabrique d’un faux problème », De facto [En ligne], 31 | Février 2022, mis en ligne le 28 février 2022. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2022/02/15/defacto-031–07/

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