Paul Dourgnon, Florence Jusot, Antoine Marsaudon et Jérôme Wittwer, économistes
L’AME est accusée d’encourager les migrations irrégulières à seule fin de bénéficier de soins gratuits. Pourtant, les motifs de santé ne sont évoqués que par 9,5 % des sans-papiers et restent peu corrélés à un recours accru à l’AME et aux soins en France.
L‘AME est une assurance publique donnant accès aux étrangers en situation irrégulière (ESI) à la plupart des services de santé sans restes à charge. Elle suscite des débats clivants. Un argument fréquemment soulevé par ses opposants est que « les sans-papiers viennent en France pour profiter du système de santé ».
Les résultats de l’enquête Premiers Pas, réalisée en 2019 auprès d’un échantillon représentatif d’ESI montrent une tout autre réalité. Tout d’abord, seuls 9,5 % d’entre eux évoquent la santé comme motif de venue en France. De plus, seuls 51 % des ESI éligibles sont couverts par l’AME. Le principal facteur explicatif du recours à l’AME n’est pas l’état de santé ni le motif de venue en France, mais la durée de séjour sur le territoire. Si l’accès à l’AME est croissant avec la durée de séjour, même après 5 ans en France, 34,6 % des ESI restent non couverts.
« La suppression de l’AME aurait […] très peu d’effet sur les flux migratoires. En revanche, elle aggraverait la situation déjà très précaire des ESI. »
Paul Dourgnon, Florence Jusot, Antoine Marsaudon et Jérôme Wittwer, économistes
L’état de santé dans le pays d’origine apparaît n’avoir qu’un rôle mineur dans l’acquisition de l’AME. Ainsi, parmi les personnes dont la maladie a été diagnostiquée dans le pays d’origine, 48 % n’ont pas l’AME. De plus, parmi les 9,5 % d’entre elles déclarant venir en France pour raisons de santé, 28,5 % restent non couvertes par l’AME. Enfin, le taux de recours au cabinet médical et à l’hôpital des personnes malades reste faible. Au cours d’une année, deux tiers des ESI déclarant venir en France pour raisons de santé consultent en cabinet médical et un quart à l’hôpital.
La suppression de l’AME aurait donc très peu d’effet sur les flux migratoires. En revanche, elle aggraverait la situation déjà très précaire des ESI.
Pour aller plus loin
- Dourgnon P., Guillaume S., Jusot F., Wittwer J., 2019. « Étudier l’accès à l’Aide Médicale de l’État des personnes sans titre de séjour ». Irdes, Questions d’économie de la santé, n° 244, novembre. URL : https://www.irdes.fr/recherche/2019/qes-244-etudier-l-acces-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-sans-titre-de-sejour.html
- Jusot F., Dourgnon P., Wittwer J., Sarhiri J., 2019. « Le recours à l’Aide médicale de l’État des personnes en situation irrégulière en France : premiers enseignements de l’enquête Premiers pas ». Irdes, Questions d’économie de la santé, n°245, URL : https://www.irdes.fr/recherche/2019/qes-245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.html
- Rapport d’enquête de l’observatoire européen de l’accès aux soins de Médecins du Monde, 2009. L’Accès aux soins des personnes sans autorisation de séjour dans 11 pays d’Europe en 2008. URL : https://mdmeuroblog.files.wordpress.com/2014/01/observatoire-europeen-2009-fr.pdf
- Wittwer J., Raynaud D., Dourgnon P., Jusot F. (2019). « Protéger la santé des personnes en situation irrégulière en France. L’Aide médicale de l’État, une politique d’accès aux soins mal connue ». Irdes, Questions d’économie n°243, novembre. URL : https://www.irdes.fr/recherche/2019/qes-243-proteger-la-sante-des-personnes-etrangeres-en-situation-irreguliere-en-france.html
Les auteurs
Paul Dourgnon est directeur de recherche à l’Institut de Recherche et Documentation en Économie de la Santé (Irdes)
Florence Jusot est professeure d’économie à PSL, Université Paris-Dauphine, rattachée au Laboratoire d’Économie et de Gestion des Organisations de Santé (Leda), et chercheuse associée à l’Irdes.
Antoine Marsaudon est chargé de recherche à l’Irdes.
Jérôme Wittwer est professeur d’économie à l’Université de Bordeaux, BordeauxPopulation Health, Inserm U1219.
Citer cet article
Paul Dourgnon, Florence Jusot, Antoine Marsaudon et Jérôme Wittwer, « Non, l’Aide Médicale d’État n’encourage pas les migrations pour raisons de santé », in : Betty Rouland (dir.), Dossier « L’aide médicale d’État, la fabrique d’un faux problème », De facto [En ligne], 31 | Février 2022, mis en ligne le 28 février 2022. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2022/02/09/defacto-031–04/
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