Thomas Pfirsch, géographe
Les visites familiales constituent l’un des principaux motifs de déplacement international, la mondialisation facilitant le maintien des liens dans les familles transnationales. Exemple avec les circulations des grands-parents italiens en Europe.
Est apparue récemment la figure de la « grand-mère volante », passant « une partie de sa retraite à voyager entre les membres de sa famille au sein des diasporas internationales » (Plaza, 2000). Très étudié au sein des migrations Sud-Nord, le phénomène est aussi présent dans les migrations intra-européennes. Il y prend des formes particulières qui révèlent les inégalités mondiales en matière de mobilité familiale.
Depuis la crise de la fin des années 2000, une nouvelle vague d’émigration traverse l’Italie, concernant surtout de jeunes diplômé.e.s migrant vers l’Europe du Nord-Ouest (Dubucs et aliter, 2017). Pour la garde de leurs enfants à Paris ou Berlin, ces derniers font appel à l’aide de leurs parents, qui s’engagent dans d’intenses circulations entre la péninsule et les métropoles européennes. Pour ces migrants italiens l’aide des grands-parents est très flexible et a lieu au quotidien, car elle échappe aux politiques restrictives du regroupement familial qui pèse sur les migrants des Suds. Elle n’est ni trop coûteuse, du fait de l’intégration des systèmes de transports (lignes aériennes low cost), ni compliquée administrativement puisque la libre circulation dans l’espace Schengen permet des mobilités sans visa.
Entre 2015 et 2018, j’ai mené une enquête ethnographique sur les mobilités de ces grands-parents italiens en France et en Europe. Leurs circulations prennent deux formes : des mobilités courtes à la demande (« que ce soit pour une grippe, une impossibilité d’aller à l’école, moi j’arrive » dit une enquêtée) et des mobilités longues et ritualisées, en forme de tours d’Europe familiaux de plusieurs mois.
C’est le cas d’Alessandra (fig. a), une retraitée napolitaine de 74 ans. Elle passe plus de 6 mois par an loin de chez elle, pour visiter ses proches en Europe. Au printemps 2016, elle part un mois chez son fils à Paris, puis elle reste un mois chez son frère à Cologne, qui a migré en Allemagne dans les années 1960, et termine le tour par une semaine de vacances à Amsterdam, à l’hôtel. Veuve, Alessandra ne voyage pas seule mais avec des amies du même âge, grand-mères volantes elles-aussi, cumulant soutien familial et voyages touristiques. À chaque fois, elle est hébergée par ses proches (elle a son espace dans l’appartement parisien de son fils), et prend en charge la gestion du quotidien (navettes de l’école, cuisine etc…).
Les tours familiaux d’Elio — un journaliste romain à la retraite dont les deux enfants ont migré à Paris et Londres — sont plus courts mais ont lieu 4 fois par an (fig. b). Elio passe toujours 15 jours à Paris pour aider son fils à la garde de ses deux petits-enfants, avant de passer le week-end chez sa fille à Londres. Si le caractère genré des mobilités des flying grandmothers a été souligné, on trouve en effet des flying grandfathers dans la diaspora italienne, même si ces derniers circulent toujours en couple, jamais seuls. Ici, le tour familial ne s’appuie pas seulement sur l’hébergement par les proches, mais sur un pied à terre, acheté par Elio dans le même quartier que son fils (les Italiens sont les premiers acheteurs étrangers à Paris dans l’immobilier).
Les tours familiaux représentés ici correspondent à une période du cycle de vie, celle de la première retraite, qui cumule sortie de l’activité salariée et bonne santé. Ils apparaissent aussi très spécifiques aux migrations des classes moyennes de l’Europe méridionale, profitant de la libre circulation au sein de l’UE pour maintenir le modèle sud-européen de welfare fondé sur la solidarité et la proximité familiales.
Pour aller plus loin
- Dubucs H., Pfirsch T., Recchi E., Schmoll C., « Les migrations italiennes en France aujourd’hui. Les nouveaux visages d’une mobilité européenne historique », Hommes et Migrations [en ligne], Dossier « L’Europe en mouvement », n°1317–18, 2017. URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/3871 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.3871
- Plaza, D., « Transnational Grannies : the changing family responsibilities of eldery African Caribbean-born women in Britain », Social Indicators Research , vol. 51, n. 1, p. 75–105, 2000. DOI :10.1023/A:1007022110306. Consultable à cette adresse : https://www.researchgate.net/publication/226902168_Transnational_Grannies_The_Changing_Family_Responsibilities_of_Elderly_African_Caribbean-Born_Women_Resident_in_Britain
L’auteur
Thomas Pfirsch est maître de conférences à l’Université Polytechnique Hauts de France (UPHF, Valenciennes), et chercheur associé à l’UMR Géographie-Cités.
Citer cet article
Thomas Pfirsh, « Les tours d’Europe familiaux des grands-parents italiens », in : Camille Schmoll (dir.), Dossier « Quo vadis Europa ? La libre circulation européenne à l‘épreuve des crises », De facto [En ligne], 26 | Mai 2021, mis en ligne le 10 juin 2021. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2021/04/27/defacto-026–05/
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