Ciné-club #10 : Déplacer les montagnes (2019) : l’aventure de ceux qui arrivent et de ceux qui accueillent dans les vallées du Briançonnais

La dixième séance du Ciné-Club ne manque pas d’am­bi­tion : elle veut Déplacer les montagnes ! Laetitia Cuve­lier et Isabelle Mahenc nous donnent à voir et à entendre en 2019 ceux qui pensent que l’hos­pi­ta­lité pour­rait bous­culer les certi­tudes, trans­former les rapports sociaux, déve­lopper de nouvelles solidarité.

La durée pendant laquelle les liens de vision­nage demeurent actifs n’est pas dépen­dante de l’Institut Conver­gences Migrations.

Ce que montre « Déplacer les montagnes »

Une fron­tière s’est dessinée, des portes se sont ouvertes, des liens se sont noués, l’exil a rencontré l’hospitalité, il a rencontré le Refuge soli­daire à Briançon, ce lieu où les exilés voient qu’elles et ils ne seront pas renvoyés en arrière. Leurs pieds endo­loris sont lavés, soignés, les âmes sont réparées.

Quand on marche en montagne, on ne voit pas la fron­tière, géné­ra­le­ment. On voit des obstacles natu­rels, des rivières à traverser, parfois tumul­tueuses, dange­reuses, des cols enneigés, des pics, des rochers glis­sants, des névés parfois fragiles. Après Névache, à quelques heures de marche de Briançon, ou plus au sud dans le massif du Queyras, quand on marche sur les sentiers, parfois on s’amuse à dire, tiens là je suis en Italie et main­te­nant en France, et toi derrière moi en Italie, et on en rit. La fron­tière qu’on chevauche amuse les randon­neurs des Alpes.

Là, pour eux, c’est bien diffé­rent : quand on vient à leur rencontre au Col de l’Echelle, la nuit, on est dans un autre monde, et pour­tant ce sont les mêmes lieux, « à côté de chez nous ». Mais on respire un autre air : brouillard, vent, neige, personne n’est venu là pour le plaisir. La nuit, il n’arrivera personne, c’est impos­sible, et pour­tant cinq silhouettes approchent, en basket dans la neige, fati­guées, épui­sées, en détresse. Tu parles tu souris, tu leur dis « Welcoooome », tu leur mets des chaus­settes, tu fais du feu. Ils avaient peur dans la neige qui s’enfonce, glacée. L’un dit : nous on était épuisés, il y avait des quan­tités de neige, on ne pouvait pas bien marcher, est-ce la bonne route ? L’autre raconte : moi, je n’ai pas réfléchi, j’ai dit oui, on a de la place, il fallait les mettre à l’abri, et puis on s’est trouvé bien ensemble. Et lui : ils m’ont mis en confiance, ils te rassurent, tu vas y arriver. Et elle : d’avoir des réfu­giés ici, je me dis que les lois sont mal faites. Est-ce qu’on va les remettre dans le malheur demain ?

Les paroles s’entrecroisent et se mêlent, comme s’il fallait refaire tous les récits person­nels qui ont mené à cette rencontre, une rela­tion recréée. Arriver à Briançon comme porte d’entrée de la France, ce n’est pas mal du tout, surtout quand on rencontre des bras ouverts, des sourires, des larmes du bonheur d’être parmi les Justes.

C’est un lieu sûr où vivre en paix. Certains vont vouloir rester, des hôtes vont vouloir les retenir. D’autres repartiront.

Michel Agier
Anthropologue
Direc­teur du dépar­te­ment Policy à l’Ins­titut Conver­gences Migrations,

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