Le solde migratoire est positif lorsqu’il y a plus d’immigrés que d’émigrés (pour une période donnée), à l’inverse, si l’émigration surpasse l’immigration, il sera négatif. Il faut toutefois préciser ce qu’immigration et émigration signifient, on oublie de tenir compte des ressortissants français. Quoiqu’il en soit, le solde migratoire n’est pas une mesure de l’immigration.
Désinfox-migration propose ici un décryptage de cette notion, dans le cas français et pour les années 2014 à 2019, les données 2020 n’étant encore que partiellement connues.
Solde migratoire vs mesures de l’immigration : l’incohérence n’est qu’apparente !
Il y a un paradoxe, que certains transforment en bataille idéologique : le solde migratoire français, établi par les spécialistes, démographes, de l’Ined et de l’Insee, est très bas. Par ailleurs, des personnalités médiatisées, politiques ou journalistes, rappellent avec insistance que l’immigration vers la France est massive et constante.
Quels sont les ordres de grandeurs ? D’un côté, le solde migratoire s’évalue à 50 000 personnes par an, de l’autre, la communication du ministère de l’Intérieur, reprise largement, voire amplifiée par des calculs peu rigoureux, fait état de 250 000 titres de séjours délivrés chaque année.
On propose ici une analyse du solde migratoire qui montre que ce paradoxe n’est qu’apparent : le solde migratoire français est tout à fait cohérent avec une délivrance de titres cinq fois plus élevée !
Des bébés, des décès et … des visiteurs
L’apparente simplicité des concepts démographiques se heurte à de nombreuses difficultés, plutôt techniques, mais loin d’être négligeables. La comptabilité démographique semble simple, sa mise en œuvre est redoutable. Comment la population d’un pays évolue-t-elle ? Il y a des naissances, des décès, et un apport extérieur. Disons A = N‑D + X, A étant l’accroissement de population entre deux dates, N, le nombre de naissances, D, le nombre de décès, et X, l’apport extérieur. Ce « X » est « le solde migratoire », qui est donc mathématiquement égal à : A – (N‑D). Cette différence, N‑D, est appelé le « solde naturel ».
Solde migratoire vs mesures de l’immigration : c’est compliqué !
« X », l’apport extérieur, a une grande part d’inconnu. « X » est lui-même un solde, car il y a des personnes qui immigrent (disons « I ») et des personnes qui émigrent, disons « E » : X = I‑E.
Les personnes migrantes ont des profils divers :
- Il y a d’abord les personnes de nationalité d’un pays hors Union européenne. On parle de migration tierce, concernant les « pays tiers à l’UE ». Soit IT, les personnes immigrées et ET, les personnes émigrées de nationalité hors d’un pays de l’UE.
- Il y a ensuite celles et ceux qui relèvent de la « libre circulation », soit les migrations intra UE : IL et EL .
- Enfin, il y a les nationaux : IN, ce sont les « repatriés », nationaux qui reviennent dans leur pays, EN, les « expatriés ».
Finalement X porte bien son nom, car X= (IT-ET) + (IL-EL) + (IN-EN). La plupart des termes de cette équation … ne sont pas mesurés, mais, au mieux, estimés !
Et restons raisonnables : connaître à tout moment la population, par catégories, n’est pas possible.
Résumons alors l’équation de base : A = (N‑D) + (IT-ET) + (IL-EL) + (IN-EN) + ε
Foin de théorie, une preuve par quatre !
Les quatre pays de l’Union européenne (encore à 28 durant les années 2014 – 2019) les plus peuplés illustrent très bien ces notions de soldes (Voir tableau en annexe). Le Royaume-Uni observe une croissance démographique majoritairement due à une immigration soutenue, mais l’apport naturel est positif. La France est assez semblable, à ceci près que l’apport naturel est plus important que l’apport migratoire et que la croissance démographique est modérée. L’Allemagne connaît une croissance démographique soutenue en dépit d’un solde naturel négatif. C’est donc l’immigration qui soutient cette croissance, la venue de réfugiés n’en étant qu’une composante. Enfin l’Italie se caractérise par un solde naturel négatif que ne compense pas le solde migratoire. Toujours est-il qu’en dépit du vieillissement de la population qui induit une augmentation des décès, un relatif tassement de la fécondité, donc des diminutions des soldes naturels, la France reste quasiment le seul pays d’Europe dont la croissance démographique reste « tirée » par les naissances.
Les soldes détaillés se compensent pour aboutir à un solde migratoire presque nul
Durant les cinq dernières années, la France a « gagné » 850 000 habitants. Comment la comptabilité démographique décompose-t-elle cet accroissement ? On constate près de 4 millions de naissances, mais aussi 3 millions de décès. Il y aurait donc un accroissement « naturel » de près d’un million de personnes, et en conséquence, un solde migratoire …. négatif. Les démographes s’accordent à dire que ce n’est pas réaliste. Passons sur les sujets techniques, qui aboutissent à un solde migratoire de 250 000 : les fameux + 50 000 /an. Soit + 0,4 % de la population en cinq ans. Comment cela s’explique-t-il ?
- Premier constat, la migration suppose une immigration, des gens qui viennent, et une émigration, des gens qui partent.
- Second constat, la migration est un phénomène mondial : les personnes de nationalité française, les citoyens et citoyennes de l’UE, au titre de la « libre circulation », et enfin, les personnes ressortissantes de « pays tiers », donc hors UE, migrent. Il se trouve, qu’en France et depuis quelques années, tous ces mouvements se compensent, ou presque.
Quand les Français essaiment …
On constate que beaucoup de Français ou Françaises s’expatrient, participant à un mouvement mondial de migrations en augmentation[1]. Ils et elles seraient 1,4 millions à avoir quitté la France depuis 5 ans. Il s’agit de mobilité plus que d’installation dans des terres lointaines : le flux de « repatriation » est presque de la moitié. Au final, ce sont près de 700 000 nationaux qui, en solde (négatif), ont quitté la France. Les personnes ressortissantes de l’UE qui immigrent ou émigrent sont nettement moins nombreuses (surtout en comparaison de l’Allemagne), mais le solde est positif et de l’ordre de 300 000.
Quand les titres ne mesurent pas si mal l’immigration tierce
On estime donc à un peu moins de 800 000 personnes le nombre d’immigrantes (légèrement majoritaires) ou immigrants venus d’un pays hors UE (« pays tiers ») tandis que 150 000 ressortissants de ces pays ont quitté la France, depuis 5 ans. Notons qu’il y a cinq fois moins de personnes immigrées venues de ces pays que de naissances, et que le solde migratoire spécifique est inférieur au solde naturel : la France reste bien un pays dont la démographie est d’abord tirée par l’excès de naissances sur les décès, au moins jusqu’en 2019. Le ministère de l’Intérieur publie les « premiers titres délivrés », soit 1 160 000 pour la période étudiée. Diverses considérations techniques, dont la principale est que les titres étudiants ne doivent être comptés que partiellement (du fait qu’il ne s’agit que d’une migration de passage) ramèneraient ce total …. aux alentours de … 800 000 !
De premières données françaises pour 2020 (Insee et Ministère de l’intérieur) laissent penser que l’écart entre solde naturel et solde migratoire s’annule : est-ce un effet de la crise sanitaire ou une tendance de fond ? Affaire à suivre !
S’il ne fallait retenir que trois informations :
1) Le solde migratoire n’est pas une mesure de l’immigration
2) L’immigration en provenance de pays tiers est un flux annuel de l’ordre de 0,4 %, trois fois moins qu’en Allemagne
3) Le solde migratoire de la France est modéré parce que l’on tient compte des départs, notamment de ressortissants Français
[1] Trésor-Éco n° 275 (Janvier 2021), » De la France vers le monde : que révèle l’augmentation de l’émigration française ? » (economie.gouv.fr)