Plusieurs personnalités politiques se sont exprimées très récemment pour dénoncer « l’immigration massive » comme l’une des causes du terrorisme. Le propos ici n’est pas de discuter des liens qu’il pourrait y avoir entre les quelque 6,7 millions d’immigrés en France, les quelque 7,6 millions de personnes non immigrées ayant au moins un parent immigré, ni même des quelque 8 millions de personnes nées à l’étrange d’une part, et la centaine de terroristes ayant frappé la France depuis 2012 d’autre part.
En revanche, la plupart des démographes, données à l’appui, ont depuis longtemps démontré que l’immigration est loin d’être massive en France. Examinons quelques faits.
On propose ici une synthèse, forcément réductrice, de la chronique de l’immigration vers l’Europe, depuis 2000. Un choix de pays a été fait, mais ces pays représentent assez bien l’ensemble des pays de l’UE, voire au-delà. Cela permet de situer la situation française au regard du contexte européen.
Le contexte général est celui d’un accroissement notable des migrations dans le monde : 173 millions de migrants en 2000 et 272 en 2019, selon les Nations unies. L’augmentation en part de la population mondiale est également sensible : 2,9 % en 2000 et 3,5 % en 2020[i]. La mondialisation, facilitant la circulation de l’information, mais aussi des personnes, est le premier moteur de cet accroissement. L’Europe est la destination de 30% des migrants dans le monde. Trois évènements majeurs ont eu lieu durant les deux dernières décennies, qui impactent fortement la chronique. Le premier est l’élargissement de l’Union européenne, en 2004. Le deuxième est la crise économique mondiale de 2008 – 2009. Le troisième touche aux conflits au Moyen Orient, particulièrement en Syrie à partir de 2011. Globalement, l’immigration a assez fortement augmenté en Europe occidentale, malgré un reflux parfois spectaculaire durant la crise de 2008 – 2009. Elle est restée à des niveaux très bas en Europe orientale. En France, des flux continus mais modestes, que l’on ne saurait donc qualifier d’ « immigration massive », ont fait faiblement progresser tant le nombre que la part d’immigrés.
La France est un pays historique d’immigration
Sans être un « nouveau monde », au contraire de l’Amérique du Nord ou de l’Océanie, la France accueille des migrants depuis (au moins) le début de la révolution industrielle. On peut résumer en disant que les flux migratoires sont réguliers mais modestes. Il s’en suit un apport de la migration à la population française conséquent, qui faisait encore de la France, vers la fin des années 2000, le pays européen ayant le plus de personnes immigrés ou descendantes d’immigrées sur son sol[ii].
L’élargissement de 2004 : la France en retrait
L’élargissement de 2004 déclenche d’importants mouvements au titre de la libre circulation, d’autant que le contexte économique est plutôt favorable. Les pays du Sud, Espagne, Portugal, Italie, traditionnellement peu ouverts à la migration le deviennent. Une forte mobilité de l’Europe orientale vers l’Europe occidentale s’opère et change considérablement le visage de l’immigration dans certains pays, notamment au Royaume-Uni. Les diasporas roumaine, et polonaise dans une certaine mesure, rivalisent avec les diasporas plus anciennes, marocaine ou turque L’ouverture des pays nordiques, amorcée durant la décennie précédente, se poursuit. La France reste à part, créant des exceptions à l’élargissement avec le maintien de la nécessité de titres de séjours pour les ressortissants de certains nouveaux états membres.
La crise économique de 2008 – 2009 : la France en retrait
La crise a fortement impacté les économies européennes. Temporairement, le nombre de personnes immigrées en Italie a ainsi beaucoup diminué après 2009, avant de repartir à la hausse. La France, du fait de l’existence de stabilisateurs économiques plus marqués qu’ailleurs, a connu une récession, mais aussi une reprise, moins marquée qu’ailleurs. Au total, la crise n’a pas vraiment affecté les tendances migratoires et ce d’autant plus que l’immigration vers la France est structurelle plutôt que conjoncturelle. En effet, elle repose essentiellement sur des accords internationaux, donc pérennes, incluant la libre circulation en UE, la régulation de l’immigration familiale ou encore des accords bilatéraux avec les pays du Maghreb. La réduction des flux ne peut se faire qu’en réduisant la délivrance du nombre de visas étudiants ou de titres de séjour liés à l’activité économique[iii].
La « crise migratoire » de 2015 – 2016 : la France en retrait
Il serait plus réaliste de parler de crises géopolitiques, affectant notamment l’Asie occidentale : la Syrie ou l’Afghanistan comme pays en guerre, les pays limitrophes comme zone d’accueil de millions de personnes déplacées. L’Union européenne a reçu 2 millions de demandes d’asile de l’été 2015 à l’automne 2016. L’Allemagne en a reçu la majorité (voir graphique). Toutes les demandes d’asile n’ont pas été acceptées, mais l’apport démographique net dépasse le million. La gestion des flux des personnes déplacées a certainement été complexe, parfois dramatique, mais, en termes de migration, ce qui a été décrit comme une « crise » a, hormis l’Allemagne, peu impacté les pays européens. Pour mémoire, la France accorde le statut de réfugié à moins de 40 000 personnes chaque année. Plus qu’une « crise migratoire » c’est surtout une crise politique et une crise de l’accueil à laquelle fait face la France et plus largement l’Europe[iv].
Graphique : la primo demande d’asile dans quelques pays de l’Union européenne
Lecture : en août 2016, 86 450 primo demandes d’asile ont été adressées à l’Allemagne.
Commentaire : Pour la plupart des pays, la demande est trop faible pour apparaître sur le graphique.
Sources : Eurostat, primo demande d’asile 2014 – 2020, calculs Désinfox-Migrations.
En conséquence, un recul continu de la France comme pays d’immigration
Durant la décennie 2000 – 2010, qui voit une reprise nette des mouvements migratoires dans le monde, la France reste, en Europe, un pays d’accueil important. La part des personnes nées à l’étranger est de l’ordre de 11 %, ce qui la situe parmi les pays européens les plus « accueillants ». Elle rentre dans la norme progressivement, voire se trouve derrière la plupart des pays d’Europe occidentale maintenant. A titre de comparaison, la Suisse, plus représentative de pays d’installation comme le Canada ou l’Australie, compte en 2019, près de 30 % de résidents nés à l’étranger, contre 13 % en France (tableau). L’Allemagne, au-delà de l’accueil de réfugié, a sensiblement changé sa politique migratoire, devenue assez ouverte. Elle a ainsi inversé son déclin démographique. Les pays nordiques, ou l’Autriche, voire les Pays-Bas, sont devenus des pays également assez ouverts, avec des parts d’immigration allant jusqu’à 20 % de leur population totale. Les pays d’Europe centrale et orientale, restent globalement, fermés à l’immigration, comme par exemple la Pologne ou encore la Hongrie.
Tableau : évolution de la part des personnes nées à l’étranger entre 2000 et 2019 dans quelques pays de l’Union européenne et la Suisse.
Lecture : en 2015, 17,2 % des résidents en Autriche sont nés hors d’Autriche.
Sources : Statistiques du département des affaires économiques et sociales des Nations unies, calculs Désinfox-Migrations.
La population née à l’étranger en France augmente modérément
La France n’est plus un pays majeur en termes d’immigration en Europe, du fait de flux récents modestes en comparaison de ses voisins. Pour fixer les idées, sur les vingt dernières années, l’augmentation annuelle du nombre de personnes nées à l’étranger est, en France, d’environ 1,6 pour mille habitants. C’est environ deux fois moins qu’en Allemagne, en Italie ou au Royaume-Uni, trois fois moins qu’en Espagne, Autriche, et Suède et presque quatre fois moins qu’en Suisse.
Parler « d’immigration massive » vers la France est donc contraire aux faits.
[i] Organisation mondiale sur la migration, Portail sur les données migratoires.
[ii] Insee, Immigrés et descendants d’immigrés en France, Edition 2012.
[iii] François Héran, Avec l’immigration – mesurer, débattre, agir, La Découverte, 30 mars 2017.
[iv] Annalisa Lendaro, Claire Rodier, Youri Lou Vertongen (dir.) La Crise de l’accueil. Frontières, droits, résistances, Paris, La Découverte, 2019. Voir la description de l’ouvrage.