Le chercheur en sciences sociales nous invite à repenser l’hospitalité au prisme de l’anthropologie, de la philosophie et de l’histoire. S’il en souligne les ambiguïtés, il révèle aussi sa capacité à déranger l’imaginaire national pour nous conduire à nous enrichir d’autres cultures et à « faire monde ». Propos recueillis par Eugénie Barbezat
Qu’est-ce qu’être « étranger » ?
Michel Agier Évidemment, on ne naît pas étranger mais on le devient quand on quitte son village, sa région, son pays. Il faut reconnaître que tout étranger qui arrive est d’abord un intrus. Nonobstant les principes d’humanité et d’égalité en droit, il ne faut pas nier cette intrusion, mais reconnaître que le nouveau venu dérange un ordre établi, qu’il nous oblige à penser son identité, son accueil, sa place… L’hospitalité comme relation sociale a l’avantage de reconnaître l’étranger, de l’accueillir, mais aussi l’inconvénient de le maintenir dans une relation inégale. C’est une réponse à l’urgence que pourvoir aux besoins de celui qui arrive, qui lui signifie « tu n’es pas mon ennemi », mais ce n’est pas une situation durable. Il y a une trentaine d’années, l’anthropologue Nina Glick Schiller avait mis l’accent sur l’importance du transnationalisme, de ce qui est « entre », qui circule. Elle disait : « Le migrant nous démontre que l’on peut vivre dans plus d’une société. » On pourrait dire aussi « dans plus d’une culture », à moins de considérer, ce qui est mon cas, qu’une culture se forme dans cette multiappartenance à plusieurs sociétés. Il existe aussi une culture de la relation, de la circulation.